eXistenZ
6.7
eXistenZ

Film de David Cronenberg (1999)

J'ai vu eXistenZ un peu trop tôt pour vraiment réussir à le digérer, et l'ai trouvé sympa, mais pas dénué de défauts. Revu quelques années plus tard, pas échaudé par ma première impression, je redécouvre ce festival d'anus en latex, de plugs, d'orifices et de lubrifications de rondelles et en ressors une fois de plus vaguement insatisfait.


Et pourtant, encore bien des années plus tard, quand je l'ai vu programmé en rétrospective d'un festival, je me suis empressé de réserver la séance pour une nouvelle communion sur grand écran avec le prince de la déliquescence des corps, le duc du fétichisme morbide, le roi de la débandade organique. Parce qu'on ne rate pas un rendez-vous avec Cronenberg : ça ne se passe pas toujours très bien, mais on sort toujours avec des choses à raconter.


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Dans un futur proche, les gens vont jeter leurs Meta Quest et s'acheter un Pod : un petit blob organique dont on préfèrerait ne pas connaitre le secret de fabrication, qui se connecte par un cordon ombilical directement dans l’orifice à la base de votre dos. Amateurs de métaphore sexuelle au forceps, Cronenberg vous offre de la lubrification au Labello, des pénétrations douloureuses, des MST chopées dans des trous mal nettoyés, et du dépucelage au marteau-piqueur. Oh, et un nombre hallucinant de plans sur des pieds.


Là où ça devient beaucoup plus intéressant, c'est quand le film renverse le cliché de la vierge qui apprend la vie aux bras de son amant expérimenté. Ici, on a Jude Law, tout innocent et vulnérable, dans le rôle d'un jeune puceau qui ne s'est jamais fait pénétrer le colo-- la colonne vertébrale. Il va découvrir douleurs et plaisirs en compagnie de Jennifer Jason Leigh, à qui il serait impossible de dire non - même quand elle vous demande de vous faire trouer le bas du dos dans un garage insalubre, par un type au sourire carnassier qui ne s'est pas lavé les mains depuis la dernière année bissextile, au risque de perdre définitivement l'usage de vos jambes.


Jude Law, comme toujours, est parfait dans son rôle de jeune empoté, perdu dans une histoire qui le dépasse complètement, et guidé par sa compagne qui lui distille les informations au compte-goutte. Entre-temps, on se culbute l'arrière-train dans des arrière-boutiques, on se tortille des cordons en latex entre les orteils et on s'humecte les orifices du bout de la langue. Mais surtout, on ne manque jamais de sucer la prise avant de l'insérer dans le dos de son partenaire pour de nouvelles aventures en réalité virtuelle.


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Parce que c'est pas tout ça, mais tous ces charnels préliminaires servent à jouer à eXistenZ, un nouveau genre de divertissement vidéoludique, pratiqué en groupe, et qui permet de générer des histoires d'un réalisme visuel confondant.


Et si je précise "visuel", c'est parce que le reste laisse un peu à désirer : interactions limitées, conversations qui bouclent maladroitement, idle loop d'animations trop courtes, répliques mal amenées, personnages écrits avec les pieds... Rien que de très banal dans le AAA que l'on connait aujourd'hui, où le niveau de fidélité visuelle a atteint des sommets, tandis que le game design semble toujours stagner là où il était il y a 25 ans.


Et quand ce film est sorti il y a 25 ans, je n'avais très certainement pas mesuré à quel point il était en avance sur son temps. En le revoyant aujourd'hui, je trouve ça fou de me dire que sorti de Westworld, il s'agit encore de l'une des meilleures adaptations du concept de jeu vidéo retranscrit sur pellicule. Et c'est à la fois sa plus grande qualité et son plus discutable défaut.


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D'un côté, on a un film résolument original, qui floute sans cesse les limites entre réalité et fiction, où on peut se retrouver dans une eXistenCeption à jouer au jeu dans le jeu et à ne plus savoir à quelle profondeur de réalité virtuelle on se trouve. Cette ambiguïté est maintenue du début à la fin et procure au film un sentiment d'urgence et de malaise.


Et à côté de ça, on a une histoire décousue, aux rebondissements rocambolesques, où la plupart des personnages jouent comme des casseroles. Et c'est tout à fait logique, puisqu'on est dans un mauvais jeu vidéo aux personnages mal écrits et aux répliques un peu nazes, mais... c'est quand même une grosse partie du film qui se retrouve à en souffrir.


Les scènes s'enchaînent ainsi de façon un peu chaotique. Les personnages se laissent porter d'un indice à l'autre sans toujours savoir pourquoi ils font ce qu'ils font, mais on se laisse volontiers porter, grâce à l'ambiance visuelle unique, et à un enchaînement de scènes bizarres et répugnantes, pleines d'organes étranges, de chair exposée et de bruits de mastication. Âmes sensibles : si la perforation d'un second anus ne vous avait pas effarouché, soyez prévenus.

Ezhaac
8
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le 20 févr. 2024

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