Tous les étés, les ibères deviennent plus rudes ...

Everybody knows ? Are you sure ? Je n’en suis pas si sûr vu les critiques mitigées parues ça et là ( Inrocks de malheur). Une nouvelle fois , je suis tombé dans la marmite de Farhadi à pieds joints. Est-ce que je suis sous l’emprise d’un enchantement ? Mon objectivité est-elle réduite à néant devant la colossale impression laissée par le dernier film de ce prodige oriental ? Bien sûr tout n’est pas parfait dans le film mais dans l’ensemble c’est très bien maîtrisé, on sent le même coup de patte génial dans les coups de caméra, dans les changements d’angles ou de lumières, dans les gros plans de visages hagards … Avec Farahdi, tremblez mortels ! Comme d’habitude, les non-dits, les faux-semblants, les hypocrisies de masse sont triturées à l’extrême. Fuyez , humains qui croient vainement cacher leurs tares enfouies en les taisant! Introvertis de tous poils, vous êtes mijotés à petit feu, le Passé (film précédent) vous rattrape funestement et vous laisse pantois. Quel film peut balayer, traiter et massacrer avec autant de maestria tant de thèmes aussi divers que l’amour tout court, l’amour paternel, l’amour maternel, la sacro-sainte famille que d’aucuns jugent incassable, la jalousie, l’adolescence, l’adultère, les rapports de lutte des classes et le maître du monde, celui qui commande tout, l’argent ? Quel film peut se vanter d’autant de richesses thématiques et en même temps ( expression macronienne) être dans la vraie justesse, dans l’air du temps et dans une grande rigueur cinématographique ? Quel film vous plonge à la fois dans l’Espagne moderne et classique dans un réalisme foudroyant ? Et pourtant Farhadi est loin d’être espagnol ! La première partie est proche de l’excellence : par des couleurs chaudes, des déplacements incessants brusques de caméra, Farhadi nous plonge au cœur du pueblo . On y est, on est invité au mariage, on virevolte on boit le pinard gouleyant avec Paco l’ extra-terrestre . . . Toutes les techniques visuelles sont utilisées à bon escient même le drône partie intégrante de l’histoire est de la fête. Le suspense lourd est omniprésent … Everybody knows qu’il va se passer quelque chose de tragique, mais quand ? Le cinéaste multiplie les fausses pistes pour imprégner son rythme à l’histoire mais je n’en dis pas plus … La tension est à son comble, remarquablement cadencée par le montage subtil de Farhadi et le jeu quelque peu phénoménal des acteurs. Un couple magique déchire l’écran : Penelope Cruz ne surjoue pas ( qui a proféré cette bêtise ?), elle magnifie la douleur d’une façon dantesque, pas maquillée, aux abois, c’est la vraie femme ruisselante de sensibilité que l’on sent à l’écran. Quant à ce monsieur Javier Bardem, c’est un monstre, c’est un géant, c’est un acteur immense, il sublime l’œuvre. Il joue à la perfection, c’est l’homme dans toute sa splendeur avec toutes les qualités de ses défauts. Un acteur inclassable, au sommet de son art, pour moi incontestablement une prestation exceptionnelle … En ce qui concerne les faiblesses du scénario, on voit venir très rapidement la suite, pour moi ce n’en sont pas. C’est plutôt un pied de nez du réalisateur par rapport au titre : Everybody knows ! Donc logique que le scénario coule de source …
Juste la fin est un peu bâclée, un peu facile et manquant cruellement d’émotion je trouve mais jusque là, on prend son pied, pas de longueur inutile, on avance sans regarder sa montre, on pourrait se croire dans sa famille, on s’identifie à ces pauvres humains vivant la condition humaine tout simplement … Il y a quelque chose de pourri au Royaume ...d’ Espagne, tout n’est pas si blanc, tout n’est pas si noir, cela s’appelle la vie et ses dératés et Farhadi jongle avec ça avec un brio rarement égalé. Mr Freud aurait bien aimé comme Mr Farhadi finalement le met en exergue tant les sujets brûlants de la psychanalyse sont présents dans l’œuvre. Rien ne s’efface, tout est palpable, un événement peut mettre le feu aux poudres et raviver les haines dans notre société brinquebalante : le réalisateur nous démontre ce phénomène de façon hyper concrète et avec un savoir-faire impressionnant. Nous n’assistons pas à un drame d’une manière éloignée, nous sommes des témoins presque actifs mais terriblement impuissants face à la trame orchestrée par ce diable d’ iranien. Ajoutez une pincée épique d’acteurs faramineux, une plongée en crescendo chez les Ibères d’ hier et aujourd’hui et vous obtenez une toile tourmentée mais tellement étoffée qui peut vous élever par instants.


A recommander con fuerza !

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le 11 mai 2018

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