Je n'ai jusqu'à présent jamais été un fanatique d'Almodovar. Cela s'explique sûrement par le fait que je connais mal son cinéma, surtout ses débuts. J'ai dû voir quatre ou cinq films de lui. Ses thématiques, le traitement esthétique et la mise en scène des acteurs m'ont le plus souvent laissé indifférent. Je n'ai que très peu adhéré au comique d'Almodovar, ni à son mélodrame. Sans pouvoir mettre des mots sur cette distance qui persistait, je laissais ses films couler sur ma peau sans que cela pénètre en somme. Ni chaud ni froid. Peut-être que l'outrance générale, des situations comme dans la réalisation, a creusé ce fossé?

Or, j'ai vraiment aimé ces Etreintes brisées. J'hésite encore à écrire adorer. Un sentiment de ne pas avoir tout compris, d'être face à une oeuvre à tiroirs dont je n'ai pas toutes les clefs suffit à expliquer cette hésitation. Il me manque des clefs parce que je n'ai pas vu Femmes au bord de la crise de nerf par exemple. J'ai bien vu par moments les liens avec Le secret magnifique de Sirk ou Voyage en Italie de Rossellini, mais je me demande quel est le lien avec The big heat de Lang, avec la voix de Jeanne Moreau dans Ascenseur pour l'échafaud, les allures à la Audrey Hepburn de Cruz ou bien ce que peut bien faire cette fusée de Hergé sur l'étagère. Je suis certain que toute est code mais je ne suis pas abonné à Almodovar +. Toute une éducation à faire. Una buena educacion, je suppose.

Et donc, revers de cette médaille, je ne sais pas trop non plus pourquoi j'ai aimé ces étreintes. Quelques pistes pourraient m'éclairer mais rien n'est moins sûr.
La structure en flash-back m'a un peu intrigué -un lien au film noir?- au début puis sa maitrise appelle finalement les applaudissements. Elle donne au film une assise, un équilibre et une lecture remarquables. C'est d'une fluidité étonnante de chaleur. Kessidi? J'entends par là que le plaisir que l'on a à suivre cette histoire est une véritable caresse pour la cervelle. Douceur, délicatesse du scénario qui sont appuyées cette fois par des personnages simples, interprétés sans fioriture ni excès. L'outrance (réelle ou imaginée) que j'avais ressentie dans certains films d'Almodovar est ici complètement absente, si ce n'est avec le personnage joué par Rubén Ochandiano. Alors quand le mélo montre le bout de son nez, cela passe de manière tout à fait naturel. Il n'y a pas de 'trop", d'effets, de traits grossiers. La tragédie ne prend jamais le pas sur le reste. Elle garde des proportions mesurées, sans pour autant qu'elle s'efface face à la comédie. Là encore, cela coule de source. Comme une évidence.

Almodovar profite du très bon travail de ses comédiens. Je ne connaissais pas ce Lluís Homar. Il impressionne. Je connaissais son impresario Blanca Portillo, mais sans pouvoir mettre un nom, ni même un titre de film sur son visage. Pas mal du tout. José Luis Gómez est très intéressant également. Connaissais pas non plus. Quant à Cruz, elle s'installe petit à petit dans le panthéon des très très grandes actrices mondlales. D'aucuns diront qu'elle y est desde bella luretta. Ici elle est d'une beauté rare mais en plus elle livre une prestation de première catégorie, alliant intensité et réalisme d'une façon naturelle et simple à la fois. Epatante hein?

Cette fois je peux écrire sur le mur : "Almodovar m'a toucher". La relation entre Mateo et Lena m'a touché, ému aux larmes, montrant combien est fragile et rare le lien amoureux. Etant moi même amoureux et heureux, cette histoire est allée me chercher tout droit à l'âme.

S'il y a un point sur lequel le cinéma d'Almodovar a toujours trouvé grâce à mes yeux c'est bien la photographie de ses films. Encore une fois, c'est un délice pour les yeux. Je ne connais pas le chef-opérateur Rodrigo Prieto, s'il a déjà bossé avec le cinéaste ou pas (flemme d'aller fureter sur imdb), reste qu'ici la netteté de la photographie me troue le popotin, particulièrement les lumières, les couleurs également, un bel ensemble. Mais peut-être que j'apprécie encore plus les scènes sombres, de nuit, bleutées, précises. Bluffantes.
J'ai également beaucoup aimé la réalisation, les idées de mise en scène graphique (le journal dans l'oeil, la ligne que forme la route sur l'étrange et gris paysage de Lanzarote, etc.) sont habiles et pleines de bon sens, logiques. Sans esbrouffe, elles participent de cette lisibilité qui rend le visionnage du film naturel et évident. Très agréable moment de cinéma.
Alligator
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le 1 mars 2013

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Alligator

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