Entre les lignes
5.3
Entre les lignes

Film de Eva Husson (2021)

Malgré d’excellents comédiens et un beau roman à adapter, Eva rate son adaptation littéraire à l’anglaise et nous livre un gloubi-boulga auteuriste aussi pénible sur le fond qu’exécrable sur la forme. La réalisatrice française se dote d’un casting en or massif et d’une belle histoire mais n’en fait absolument rien.

1924, Beechwood en Angleterre. Jane Fairchild est la bonne d'une famille d'aristocrates, les Niven. A l'occasion de la fête des mères, ses patrons lui accordent une journée de repos. Seulement, orpheline, Jane profite de l'occasion pour retrouver son amant, Paul. Ce dernier est le fils des voisins des Niven et il est fiancé à Emma Hobnay. Les Niven qui ont perdu leur fils lors de la Première Guerre mondiale se réjouissent du futur mariage de Paul comme si celui-ci était leur propre enfant.

Ce qu’il y a intéressant dans l’histoire c’est cette liaison et cet amour impossible qui faisait fi des conventions et barrières sociales. Ce qu’il y avait de rare aussi c’est que, derrière ce vernis chic, élégant qu’a l’aristocratie britannique, c’est cette ambiance de deuil. L’histoire se déroule juste après la première Guerre Mondiale et la plupart de ces enfants de bonnes familles n’en sont pas revenus. La réalisatrice française avait donc la matière d’un somptueux mélodrame. Hélas, elle choisit d’en faire un récit d’émancipation stupide et convenu.

Formellement le film est bourré de tics et tocs auteuristes consternants. Pourquoi ce cheval filmé au ralenti ? Pourquoi ce cheval d’ailleurs, qui n’a aucun lien avec l’histoire ? Pourquoi ces scènes de repas filmés au ralenti ? N’y avait-il aucune autre manière de montrer ce milieu figé avec plus de subtilité. Les décors, les costumes ont été soigneusement choisis et ils sont assez beaux mais fallait-il abuser à se point des flous et de la caméra à l’épaule pour signifier le trouble des personnages. Peut-on acheter des rails de travelings à Madame Husson ? Parce que la mise en scène absolument absurde ne va pas du tout avec le classicisme de l’histoire, du milieu. Eva Husson n’a pas l’élégance de James Ivory pour filmer ces histoires, ces familles. Elle encombre d’ailleurs son film de plans tout à fait inutiles : pourquoi ces plans sur les pieds, les doigts, les visages. Évidemment, comme beaucoup de cinéastes-auteurs contemporains, Eva Husson a peur du classicisme et choisit de complexifier inutilement et à outrance sa narration. Plutôt que de choisir la linéarité du récit, c’est-à-dire la simplicité, elle fait le choix d’imbriquer les temporalités. Pour Eva Husson qui à l’évidence court après le chef-d’œuvre, la complexification participe à faire un grand film. Le résultat de cette entreprise est assez navrant. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?

Madame Husson est une femme qui vit dans l’air de son temps et tente de trouver des échos à l’époques qu’elle s’empresse de surligner. Comme si elle ne faisait pas confiance à son spectateur, comme si ce dernier n’était pas suffisamment intelligent pour les trouver lui-même… Il faut qu’elle les lui apporte sur un plateau. Le film est ouvertement féministe (original !) et on sent que la place des femmes dans la société obsède la réalisatrice. Ici, toutes les femmes sont malheureuses. Il y a les femmes en deuil, les pleureuses. Il y a les servantes, sans liberté, au service de leur maître. Un plan vient montrer à quelle point les intentions de la réalisatrice sont surlignées. Jane est à la gare et voit un groupe de femme. Soudain, la réalisatrice insère la ‘projection mentale’ de son personnage qui voit ses femmes habillées en soubrette. Car bien sûr, les femmes sont toutes dans la position de servitude. Les domestiques sont au service de leur maîtres et les femmes aristocrates sont au service de leur mari.

Curieusement l’aspect social est assez absent du film. Hormis l’amour impossible entre le fils de bonne famille et la domestique, il semblerait que ce ne soit pas important. Les maîtres sont bons, les domestiques dociles. Le fils de bonne famille traite son amante avec considération. A croire que les biais de classes n’existaient pas.

Je dois cependant admettre que les acteurs sont vraiment excellents. N’ayant pas vu ‘The Crown’, j’ai trouvé que Josh O’Connor était une révélation. Il livre une prestation sensible de ce fils de bonne famille romantique, idéaliste mais qui ne se fait pas d’illusion sur sa destinée. Mais franchement, quelle honte de faire appel à Olivia Colman, Colin Firth ou l’excellente Glenda Jackson pour leur donner aussi peu à jouer. Dans la première partie, Colin Firth débite des dialogues sans intérêts, déblatère sur la météo et Olivia Colman passe la plupart du temps dans le cadre sans rien dire, les larmes aux yeux. Heureusement, les deux acteurs ont finalement droit à une belle scène chacun autour du deuil. Quant à Glenda Jackson, elle n’apparaît qu’à la dernière minute du film.

‘Mothering Sunday’, ou de l’art de plomber son adaptation littéraire pas ses tocs de mise en scène. Eva Husson aurait mieux fait de revoir les films de James Ivory ou ‘Le Messager’ de Joseph Losey qui sont des modèles d’adaptation littéraire. Heureusement que les acteurs sont là, car seuls eux sont dans le coup. Le reste est totalement raté.

Noel_Astoc
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le 12 juil. 2022

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Noel_Astoc

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