Énorme, le quatrième film de Sophie Letourneur semble enfin réconcilier son cinéma un peu expérimental et toujours plein d’humour avec un public plus large que pour ses précédentes œuvres. Il est vrai que comparé par exemple à ses Coquillettes, Énorme semble avoir passé la démultipliée. Ici encore, la créativité de la cinéaste l’amène à sortir des sentiers battus, puisque, au-delà d’un scénario plutôt original, la forme même du métrage est particulière dans sa fusion entre un quasi-documentaire avec des acteurs de la vraie vie et une fiction portée haut la main par Marina Foïs et Jonathan Cohen.


L’histoire donc, une fois de plus s’inspirant de la vie de la cinéaste, retrace le neuvième mois de la grossesse de Claire Girard (Marina Foïs), une pianiste virtuose qui arpente le monde pour l’amour de son art. Dans une première partie, le film dessine son personnage et celui de Fred (Jonathan Cohen), mais surtout leur couple atypique. Monsieur est le mari, l’agent et la bonne à tout faire, y compris les câlins sexuels qui détendent sa belle. Dans cette partie, on le perçoit d’abord comme un être très antipathique, phagocytant sa compagne sur tous les plans. Ce faisant, on ne sait pas à quelle motivation il répond, un altruisme sincère ou une manipulation des plus crasses. Claire, elle, n’est responsable de rien, n’est perméable à rien, et on s’aperçoit bien vite que plutôt que d’être la victime d’une sorte de machisme déplacé, elle en est peut-être au contraire l’instigatrice, trop heureuse de pratiquement se désincarner pour ne penser qu’à sa musique. La contre-manipulation en somme.


Quand la crise de la quarantaine rattrape Fred sous la forme d’un désir aigu de paternité, une extrême incongruité dans le couple qu’il forme avec Claire, une monstruosité même pour cette dernière, il profite de ses pleins-pouvoirs pour la rendre enceinte malgré elle et à son insu. Ce sont là de multiples occasions à de scènes hilarantes, le stratagème, la découverte, le déni de grossesse. Mais Claire promène un regard si détaché, et Fred un engagement si anormalement total dans la situation que, sous couvert de rigolades, ça en devient effectivement énorme.


Dans le même temps, on assiste, impuissants, comme Claire, à la prise de pouvoir non seulement de Fred, mais de tout un staff médical, sur son corps. Lorsque dans une scène émouvante, elle se délivre enfin de ce mal-être qui s’ajoute à la difficulté de se consacrer à son art, son ventre gonfle à vue d’œil et devient gigantesque, énorme. Tout se passe comme si Claire reprend enfin le contrôle de son propre corps.


Dans la deuxième partie d’ Énorme, toujours aussi loufoque et drôle, Sophie Letourneur déploie la phase expérimentale de son projet. Les scènes surviennent à l’hôpital ou dans un cabinet médical, mais toujours avec un champ/ contrechamp composé d’une partie tournée en amont, avec différentes sages-femmes, infirmières , gynécologues qui sont en situation réelle face à des interlocutrices tronquées, et de l’autre avec le couple Girard qui donne donc de manière convaincante la réplique à du vide. Le procédé est plutôt abouti, en plus d’apporter beaucoup d’émotion avec une très longue scène d’accouchement en direct. Le corps médical est très bienveillant dans l’ensemble, peut-être un clin d’œil, lui aussi bienveillant, de Letourneur au regard de sa propre grossesse et de son propre accouchement.


Énorme n’est pas qu’un assemblage de saynètes réussies (même si l’on pourrait reprocher à Jonathan Cohen un léger cabotinage) . Il est surtout l’occasion pour la cinéaste de suivre de bout en bout la progression mentale de la protagoniste face à cette grossesse non désirée. Une progression qui débouchera sur le premier regard qu’elle pose sur le bébé, un regard qu’on laisse au spectateur le soin de découvrir. Sophie Letourneur a joliment planté les balises, ses acteurs ont fait le reste. Une fois de plus, Marina Foïs ne nous aura pas déçus, comme c’était déjà le cas dans Irréprochable de Sébastien Marnier, ou encore Darling de Christine Carrière, pour ne citer qu’eux. Énorme est une comédie singulière qui mérite toute notre attention cette semaine.


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Bea_Dls
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le 9 sept. 2020

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Bea Dls

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