En cette année 2013, nous avons déjà eu Wadjda. Un film iranien où on parlait de la culture iranienne, de la place de la femme dans celle-ci. Ceci avec la vision de la jeunesse. Dans le film argentin de Benjamin Avila, le concept est le même. Événement de société et/ou politique, on le retranscrit dans la vision d’un jeune garçon. Tout de suite, ça enlève beaucoup d’action et de cruauté dans les images. Mais cela n’enlève en rien la sensibilité et l’émotion procurée.

Le jeune garçon va subir beaucoup de choses dans ce film. C’est un peu la fatalité de la jeunesse : passer par des moments que l’on ne comprend pas, mais ça nous aide à avancer. Tout d’abord, ce film parle de pression familiale. Benjamin Avila se sert du prisme de l’enfance pour parler de famille. Nous ne sommes pas dans la reconstruction de la famille. Nous sommes dans le simple fait que, au sein d’une famille, les parents sont souvent autoritaires envers leurs enfants. Les enfants ne demandent rien, ils subissent les règles. Ils doivent suivre leurs parents, sans protester. Comme une sorte de dictature.

C’est là que le film en devient plus ironique (et plus intéressant). En même tant que le cinéaste dénonce le régime au pouvoir, il se questionne sur la fiabilité et la justesse du régime opposé (on reconnaîtra le communisme rien que par le mot « camarade »). On y sent ici le côté très personnel du film – on apprend à la fin du film que le cinéaste rend hommage à ses parents, ses frères, ses soeurs, ainsi qu’aux militants. Un sentiment d’expérience se fait ressentir. C’est là que la forme ludique de la réalisation prend tout son sens.

En effet, tout au long du film, que ce soit le montage, les effets ou la réalisation, le tout est filmé pour nous apprendre. Benjamin Avila y tout de même preuve d’une grand inventivité. Chaque changement de plan n’est pas un hasard. Et la recherche formelle est un coup de pression, ou un coup de grâce, qui viennent s’empiler les uns sur les autres. C’est ça ce film : suspense et émotion à la clé, dans un mélange passionnant. Le suspense est créé avec le fil conducteur du récit : la guerre en Argentine.

Ici, la guerre est approchée de près, on la touche du doigt. Et il ne suffit pas de connaître les faits historiques pour y apprendre quelque chose. Le film est une tempête de chaque instant, une tourmente. Une tourmente où la vision du jeune garçon est le témoignage de l’horreur dans laquelle il vit. Le plus fascinant dans la narration de ce film, c’est que la guerre prend son temps. Benjamin Avila fonctionne comme une torture. Durant une bonne heure, il jette les premières pierres ; et le reste n’est qu’achèvement total.

Et tous ces problèmes, auxquels sera confronté le jeune garçon, seront comblés par un peu de beauté. Benjamin Avila a choisi de ne pas faire que dans la tristesse ou l’horreur facile. Il ne s’agit pas ici de démontrer. Mais d’émouvoir. Et cette émotion passera par l’horreur, mais également par la beauté. Car au milieu de tout ce carnage (à cause de la politique), le jeune garçon va tomber amoureux. Et là, Benjamin Avila nous offre des scènes splendides où lyrisme et amour se mélangent. Cela sonne comme une échappée dont tout le monde aurait voulu en ces temps de tourmente.

Avec tout ceci, s’ajoute une part d’Histoire. Un peu comme No de Pablo Larrain. Ce film peignait dans son récit une fresque historique étonnante. En prenant du recul. Ici, bien que l’ironie soit présente, le spectateur est présent dans le contexte historique. Nous ne sommes pas ceux que le réalisateur doit convaincre. Nous sommes des spectateurs embarqués dès la première scène dans un camp précis. Et ce n’est pas le choix de mise en scène sur les fusillades qui changera quoi que ce soit. Mais cela a un côté positif : le film se transforme en récit initiatique.

L’histoire du film est là pour apprendre au jeune garçon et nous apprendre, à nous chers spectateurs, ce qu’est la vie (en ce temps là, évidemment). Et que tout n’est pas rose, la vie est toujours constituée de batailles (là, c’est un discours général). Ce film n’est autre qu’une leçon constante pour le jeune garçon. Une leçon où il devra apprendre les choses de la vie, et s’avoir comment gérer ce qui l’entoure afin d’en tirer profit. Afin de tout rendre meilleur que ce ne l’est.

Benjamin Avila a choisi, pour ne pas montrer quelque chose de trop violent ni choquant, de nous livrer les scènes d’actions et de fusillades comme des dessins de mangas. Tout de suite, ça sonne faux. Pour la simple et bonne raison que le réalisateur a décidé d’accélérer le rythme de ces scènes. Du coup, comme ce n’est pas réel, et que c’est accéléré, Benjamin Avila nous dit que ce n’est pas le plus important. Que le fait va servir la suite de l’histoire, mais qu’il ne souhaite pas le montrer en particulier. Un relâchement du spectateur peut alors se produire. Heureusement que les acteurs, même les plus jeunes, sont là pour vite faire remonter la sauce.

Finalement, Enfance Clandestine est un film entre récit initiatique et fresque historique. Entre la pression familiale et la guerre, nous avons ici un jeune garçon qui subit. Il subit les choix et règles des adultes, alors qu’il n’a rien demandé. Il veut juste vivre sa vie, et être heureux. De là apparaît deux contrastes : un côté d’horreur avec la guerre, et un côté beauté avec le jeu de l’enfance. A travers une réalisation ludique et inspirée, Benjamin Avila nous sert un pan de l’Histoire de l’Argentine sous le prisme de l’enfance. Un film fascinant doté de suspense et d’émotions.

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Auteur : Teddy
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le 24 mai 2013

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