Le monde du cinéma d'horreur a ses mythes, de Dracula à la créature de Frankenstein (à dissocier des œuvres littéraires dont ils sont souvent issus). José Mojica Marins créa le sien en en 1963 avec le film At Midnight I'll Take Your Soul, mettant en scène pour la première fois son personnage de Coffin Joe, qu'il incarne lui-même. Première grande figure du cinéma d'horreur Brésilien, Coffin Joe avec sa cape noire, son chapeau haut-de-forme et ses ongles incroyablement longs a tout du personnage du film d'horreur typique de l'époque de la Hammer. Son grand dessein est de trouver la femme parfaite avec qui il enfantera et deviendra ainsi spirituellement immortel. Ce projet l'amènera a commettre nombre d'atrocités, notamment à l'égard des femmes. On le retrouvera ensuite dans plusieurs films de Marins.

En 2008, le réalisateur ranime le personnage après une longue absence dans Embodiment of Evil. Scénaristiquement parlant, il en est de même puisque Coffin Joe sort de prison après 40 ans d'enfermement. Dès lors, l'un des principaux intérêts du film est de montrer le total décalage du criminel avec son époque, de par son accoutrement et de par sa mentalité qui n'a pas évolué entre quatre murs. Sa grandiloquence, très bien suggérée par le jeu d'acteur et le travail musical, est vite mise à mal par l'un des symboles contemporains les plus évidents, une automobile qui manquera de le tuer.

La suite du film montre une richesse de thématiques rare, et la société Brésilienne passe à la moulinette de Marins : Abus policiers, violence à l'égard des femmes, fanatisme religieux, misère et insécurité des favelas...

Ces thèmes s'illustrent principalement via Coffin Joe, brillant de complexité. Le rêve de ce dernier tient de l'eugénisme le plus parlant. Il parle constamment d'hommes supérieurs et inférieurs, et veut par sa sélection enfanter la perfection. Mais s'il passe au premier abord pour un héritier des "valeurs" nazies, certaines scènes mettent en évidence un autre aspect de cette "philosophie". Tout d'abord, sa définition de supériorité ne tient pas compte de l'origine ou du sexe des personnes qu'il qualifie. Il déclame à plusieurs reprises un discours pamphlétaire à l'égard de la religion, expliquant qu'elle esclavagise ses suivants. Dans une de ces scènes, il accuse aussi la population de se laisser dominer par la police qui abuse de son pouvoir. Il juge en fait de supérieurs les hommes libres de leur destinée et inférieurs ceux qui se laissent dominer. On peut donc en déduire que Coffin Joe souhaite la libération du peuple du joug des forces qui le domine ; Un véritable discours d'anarchiste !

Anti-chrétien, méprisant le pouvoir, Coffin Joe n'en est pas moins un meurtrier. Et cet aspect chez lui est profondément humain. A la grande différence de Dracula ou de la créature du marais ou de celle de Frankestein, Coffin Joe est un simple humain, épris de grandeur. Ce simple statut ne le met pas à l'abri des même tords que ceux qui gouvernent les forces qu'il méprise. De la même façon que les personnages des policiers, l'encapé ne manque pas de battre les femmes, dans une tradition misogyne qui fut certainement celle de son éducation. Il déclamera dans une longue scène de flashbacks que les femmes n'ont de valeur que si elles peuvent mettre au monde, les reléguant au rang de pondeuses. Il est aisément décelable que ce honteux discours, Coffin Joe ne l'a pas inventé, mais l'a hérité de la culture du monde qui l'a vu naître.

Une grande partie du film est d'ailleurs consacrée aux fantômes qui hantent Coffin Joe, principalement ceux des femmes qu'il a battu, torturé, tué, ou aimé. De nombreuses scènes humanisent encore le personnage en le montrant en proie à la terreur devant ces visions fantasmagoriques de fantômes vengeurs.

L'un des grands intérêts du film (pour un certain public tout du moins) réside également dans ses scènes gores, prenant le rail du torture porn à pleine vitesse. Ces scènes sont incroyablement généreuses et réalistes, grâce non seulement à des effets spéciaux de haute volée, sans images synthétiques (pour ce qui est des blessures corporelles) mais également, et j'ai du mal à en douter, à des performers. Une scène de suspension notamment, semble tout à fait réelle. Le spectateur assiste à la perforation de la chair par les crochets puis à la suspension du corps par ceux-ci. Une autre scène montre une femme se faire coudre la bouche, et si le trucage était flagrant dans Pelts de Dario Argento, il semble ici absent. Comme dans le japonais Guinea Pig ou dans le Frayeurs de Fulci, d'autres actrices se voient en proie avec des insectes "répugnants", couvertes qu'elles sont de cancrelats. Je ne saurais dire ici si la scène est réelle ou truquée.

Que ce soit par la multiplicité de ses thématiques, par leur traitement original, par la complexité de son personnage central, ou par ses scènes gores nombreuses et totalement réussies, Embodiment of Evil se révèle un grand film (et je n'en démordrais pas, profondément féministe) de cinéma d'horreur, venu d'un pays assez peu réputé pour ce genre, et qu'il serait dommage de ne pas voir, pour peu que l'on ne soit pas facilement impressionnable, car le film se révèle une expérience extrême, comportant de nombreuses scènes choquantes (pas seulement les gores).
cramazouk
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le 9 juin 2013

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