Ema
6.7
Ema

Film de Pablo Larraín (2019)

Après le miraculeux biopic qu’était Jackie, Pablo Larrain revient avec Ema, une oeuvre difficile à empoigner mais dont la vitalité et la force de fascination l’emportent sur tout le reste. Après Madre ou même Eva en Aout, c’est un autre portrait de femme qui enflamme notre été cinématographique.


Dans les œuvres que sont Jackie ou El Club, le cinéaste tentait de façonner l’introspection mentale de ses personnages, essayait presque de rentrer dans leurs esprits pour déceler les multiples visages de ces derniers. Mais ici avec Ema, c’est son obsession pour la liberté, le souffle, et le feu qui anime le corps de la protagoniste qui semblent être le fil rouge du récit de Pablo Larrain. Cette fois-ci, le chaos et le trouble cohabitent toujours autant, mais au lieu qu’ils soient tapis dans l’ombre et sujets à interprétation, ils sont organiques et charnels. Et en ce sens, le personnage est totalement à l’image du film, et inversement.


Nous voyons des corps qui dansent, qui sautent, qui hurlent, qui se disputent, qui baisent frénétiquement, comme si cette enveloppe corporelle était le seul réceptacle à une incapacité à montrer des émotions autres. Par ce fait, le cinéaste change un peu sa manière de procéder et s’avère plus sensoriel dans sa volonté de faire le portrait d’une jeune femme qui ne sait pas encore ce qu’elle est, à la fois pour elle mais aussi pour les autres. Une sorte de femme-enfant capricieuse, un soleil qui pourrait brûler tout ce qui l’entoure avec son lance flamme ravageur mais dont l’amour pour son fils dépasse l’infini. Elle semble en pleine crise d’existence après qu’elle a perdu la garde de son fils, ce dernier ayant accidentellement brûlé le visage de sa tante.


Le personnage d’Ema, danseuse de Reggaeton et compagne de son chorégraphe, pourrait paraitre antipathique, froid, détaché de toute responsabilité, voire calculateur (son rapport au couple adoptif), mais la ligne de fuite qui l’accompagne est un peu plus floue, fébrile et sincère qu’il n’y parait. Il est donc difficile d’anticiper ses faits et gestes et par la même occasion, de s’identifier à un personnage qui sort des sentiers battus et dont l’ambiguïté morale pose parfois question. Pourtant, de par le charisme puissant qui émane de l’actrice qui l’incarne (Mariana Di Girolamo), de par l’énergie viscérale qui l’habite et qui la pousse à retrouver son enfant tout en apprenant sur elle-même, de par cette volonté qu’a le film à s’interroger sur les notions de féminité, d’appropriation du corps et de maternité avec une réelle modernité, à la fois sociale et familiale, Ema a beaucoup à nous offrir en terme d’émotions.


Avec une caméra plus mobile qu’à l’accoutumée, une capacité visuelle à faire naitre le désir puis la transe et une photographie chromatique somptueuse, le film Ema pourrait presque s’apparenter à du Gaspar Noé, à la fois par le biais de certaines scènes de danses qui transcendent les danseuses (Climax) et par la mise en scène de la sexualité (Love). Mais ce qui frappe le plus et qui épouse les formes de cette référence, c’est la violence constante des relations entre les personnages qui se reposent à chaque fois autour d’une dualité primitive et presque déconnectée de toute réalité : entre attraction/répulsion, haine/amour, mutisme/folie ou même domination/assujettissement. Il y a comme quelque chose d’enfantin dans leurs réactions, comme s’ils étaient dans une bulle dans laquelle ils se renfermeraient. C’est peut être l’une des choses les plus déroutantes du film : l’irréel et la symbolique qui s’incorporent éperdument dans un contexte on ne peut plus tangible.


Cette émulsion d’émotion est aussi accentuée par le montage narratif fait d’ellipses, et un rythme frénétique : le film ne perd jamais ses objectifs de vue et prend le pouls de l’énergie intempestive qui suit Ema et sa soif de liberté. Après sa collaboration avec Mica Levi, Pablo Larrain dévoile encore son amour pour une électro ample et minimaliste avec la bande originale de Nicolas Jaar, qui sublime l’image et lui donne une couleur à haute intensité. Après Madre de Rodrigo Sorogoyen, c’est un autre portrait de mère, trouble et libre, qui vient tordre le cou à tous ceux qui pensent qu’il n’y a rien dans nos salles de cinéma actuellement. Ema, unique en son genre, est à voir de toute urgence.


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Velvetman
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le 27 août 2020

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Velvetman

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