On pourra sans doute évoquer une manière de féminisme inversé et très personnel – à peine paradoxal chez Verhoeven : on se souvient de la princesse de la baraque à frites dans Spetters, qui essayait tous ses prétendants, dans l’espoir, finalement satisfait, que le destin finirait par lui donner le bon. Ici Elle a le don de transformer tous ses drames (jusqu’au viol) en autant d’éléments « intéressants », à maîtriser, à dédramatiser pour les intégrer dans une histoire personnelle et positive. Et à l’instant où les événements risquent de l’aliéner, où le contrôle risque de lui échapper, l’art d’y mettre fin de la façon la plus radicale.


On pourra aussi trouver qu’Isabelle Huppert colle assez bien à ce rôle, entre innocence et perversité, qu’elle a déjà interprété à d’innombrables reprises. Mais on pourra aussi faire un blocage devant ses tics de jeu, jusqu’au stéréotype, l’enfermement dans son personnage d’éternelle petite fille et tout le minaudage qui va avec.


En réalité, et bien avant toute tentative, sans doute assez vaine, d’analyse, on est d’abord frappé par l’extrême paresse qui enveloppe presque tout le film. Verhoeven a découvert le roman de Djian, apprécié l’accumulation des scènes de cul et leur côté vaguement malsain, et il a décidé de l’adapter (d’abord pour le cinéma américain, avec pour effet une nouvelle ré-adaptation qui n’a fait qu’ajouter à la confusion), de façon, le plus souvent, très plate, ou, on y revient, extrêmement paresseuse.


L’impression un peu triste (surtout quand on est, vraiment, amateur de Verhoeven) qui finit par l’emporter est celle d’un téléfilm assez ordinaire, sans grand relief, le côté malsain en plus et rien de plus.


Car même à ce niveau, Elle n’est pas vraiment convaincant. Le récit, celui de Djian en fait, accumule les personnages, à la façon d’un catalogue des perversions, du violeur mystérieux à la mère couguar, flanquée d’un étalon gigolo régulièrement surpris en slip, du père meurtrier, à la meilleure amie vaguement tentée par le lesbianisme (pour une séquence d’une extrême brièveté), de l’amant qui est, évidemment le mari de la meilleure amie, un vrai panorama à peine caricatural du monde moderne (?), qui finit par impliquer tout l’environnement de l’héroïne, toute la famille, père et mère, fils et belle-fille, l'ex et sa copine, les amis, les voisins, jusqu’à l’univers professionnel, les employés de l’entreprise, qui donne dans la conception et dans la commercialisation de jeux vidéos (bien moches) et qui sont évidemment détournés, contre Elle, à des fins évidemment sexuelles. Au passage on pourra s’interroger sur la vraisemblance de l’idée, Isabelle Huppert et Anne Consigny en grandes spécialistes des jeux vidéo ; cette partie du film est d’ailleurs très mal liée à un ensemble déjà très touffu ;


(Et le reste du casting est aussi surprenant, ou saugrenu, avec Virginie Efira confite en bigoterie, et de façon bien lourdingue ; Laurent Lafitte en


psychopathe.


Cela peut suffire à expliquer que les comédiens sont globalement assez mauvais, la palme revenant sans doute au jeune couple des enfants, servis il est vrai par des dialogues particulièrement mauvais.)


On aura compris – cette accumulation de personnages, chacun avec sa spécificité plus ou moins sexuelle, interdit qu’on s’intéresse vraiment à chaque individu. Et dès lors le caractère pervers du film (sa promesse essentielle) finit même par s’estomper. Il n’est plus que banalement malsain, sans la moindre finesse. Et ce n’est pas la répétition à l’identique (non, il y a quand même quelques variantes) de la scène initiale du viol, à quatre ou cinq reprises (à la fin, on ne compte plus) qui suffit à apporter au récit l’épaisseur et le style qui lui manquent.


Il ne faut pas être trop injuste ; Elle compte aussi quelques scènes, quelques séquences intéressantes :


• la scène à deux de fermeture des fenêtres, ambigüe et angoissante, lors d’un soir de tempête ;
• le grand rassemblement de tous les personnages (les employés exceptés) pour le repas de Noël, fonctionnant en non dits, avec un montage habile, un peu à la façon des regroupements dans les récits policiers traditionnels (cela dit, l’énigme, qui n’a aucun intérêt, et n’est d’ailleurs le souci ni de Djian ni de Verhoeven, est depuis longtemps éventée et le risque de spoiler est maigre) ;
• et surtout la scène d’ouverture, pas totalement novatrice mais prometteuse, le viol vu à travers les yeux du chat, avec une grande partie en hors champ, seulement rythmée par les bruitages, les chocs, les cris et s’achevant sur une image, un plan joliment coupé en deux, avec une moitié dans le noir total.


Pas mal – mais trop ponctuel, très insuffisant pour les amateurs presque inconditionnels, du Hollandais violent.

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le 3 juin 2016

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