Éclats d'enfance
7.2
Éclats d'enfance

Documentaire de Simon Lereng Wilmont (2022)

D’un bout du monde à l’autre, les enfants sont, dans leur essence, tous les mêmes : ils bavardent sans cesse, jouent, se chamaillent, passent d’une émotion à l’autre en une fraction de seconde et tentent de retenir leurs larmes pour ne pas montrer leur faiblesse. Le seul long-métrage ukrainien de cette année à Visions du réel, A House Made of Splinters, est truffé de magnifiques moments de vérité qui ne cessent de nous le rappeler. Les enfants du foyer de Lyssytchansk ont cependant des parcours difficiles que leurs jeux laissent transparaître, en témoigne cette scène où l’un d’entre eux prédit que l’une de ses camarades finira alcoolique et S.D.F. Cette séquence montre non seulement la méchanceté sans filtre dont on peut faire preuve à cet âge, mais elle est d’autant plus tragique dans une optique de reproduction sociale où les enfants reproduisent leurs schémas parentaux ; il est d’ailleurs fait mention d’une femme ayant grandi au foyer qui revient aujourd’hui rendre visite à sa fille. La boucle est bouclée.

La caméra de Simon Lereng Wilmont est parfois un peu voyeuriste, sans doute par maladresse : deux plans sont filmés à travers une porte entrouverte tandis que d’autres sont un peu trop proches des personnages, volant leurs émotions au lieu de les capter. Le reste du temps, A House Made of Splinters fait preuve de respect envers ses personnages, voire même de bienveillance. L’un des enfants s’est par exemple scarifié le bras, mais ce n’est l’objet d’aucun gros plan et ce n’est abordé explicitement que lorsque sa mère lui en parle. Pourtant, il y a fort à parier que cette mutilation a fait l’objet d’une discussion avec les travailleurs sociaux, mais on n’en saura rien. De manière générale, le réalisateur fait preuve d’une retenue constante et laisse une grande place au hors champ. Kolia, le jeune garçon qui s’est scarifié, s’entendait très bien avec l’un des aînés du foyer qui avait une oreille percée. Lorsque ce dernier part à l’orphelinat, le jeune garçon se perce une oreille à son tour, sans doute en son hommage. Cet détail est d’autant plus touchant qu’il ne fait l’objet d’aucune scène : quand le réalisateur ne filme pas, le foyer reste en mouvement.

Même s'il est constamment sur la retenue, on pleure à chaudes larmes devant A House Made of Splinters. Tout transpire la tendresse perdue de l’enfance : la lumière tamisée, les couleurs chaudes, la lucarne dans la nuit noire, le foyer est un petit coin de paradis qui renferme une profonde tristesse. Les enfants viennent avec leurs problèmes, se font aider par les travailleurs sociaux, de véritables moments de vie se créent, puis ils partent vers une famille d’accueil ou à l’orphelinat en espérant que leurs démons ne les rattrapent pas. En plus de sa dimension politique évidente et de sa résonance avec l’actualité, A House Made of Splinters est un film à voir pour se replonger en enfance, ressentir des émotions que l’on pensait enterrées et se souvenir de ce paradis perdu à jamais.

Site d'origine : Ciné-vrai

Contrastes
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Visions du réel 2022

Créée

le 5 juin 2022

Critique lue 83 fois

4 j'aime

Contrastes

Écrit par

Critique lue 83 fois

4

Du même critique

Strange Way of Life
Contrastes
3

Soudain le vide

Il y a quelques années, Saint Laurent se payait les marches du Festival de Cannes en co-produisant Lux Æterna de Gaspar Noé, coquille vide qui permettait néanmoins à la marque de s’offrir un joli...

le 17 août 2023

23 j'aime

Unplanned
Contrastes
1

Propagande pure et dure

Même en tant que rédacteur amateur d’un blog à très faible audience, décider de consacrer un article à Unplanned est loin d’être anodin : dénoncé depuis plus de deux ans comme un nanard de propagande...

le 16 août 2021

14 j'aime

1

After Blue (Paradis sale)
Contrastes
7

Luxe, crasse et volupté

« Nous aurons fait un grand pas en esthétique lorsque nous serons parvenus non seulement à la conviction intellectuelle mais à la certitude intime que l’évolution de l’art est liée au dualisme de...

le 19 févr. 2022

11 j'aime