L’écrin est superbe, mais l’émoi sapé, écrivais-tu, fier de ta petite formule, à propos de la première partie du Dune de Denis Villeneuve. Propos qui, et tu t’en es rendu compte à peine sorti de la salle de cinéma, peut tout aussi bien convenir, et même davantage, à cette deuxième partie (et qu’en sera-t-il de la troisième ?). Villeneuve, on le sait maintenant, est devenu un esthète en matière de composition visuelle avec cette attention poussée pour l’harmonie des architectures, des costumes et des cadrages (à l’instar par exemple d’un Tarsem Singh auquel on pense parfois ici, mais qui, lui, n’a eu droit qu’à une presse vacharde n’ayant jamais pris au sérieux sa virtuosité formelle encombrée, c’est vrai, de scénarios pas toujours glorieux).

Et donc ce deuxième volet est esthétiquement superbe, là-dessus il sera difficile de chipoter, et certains plans saisissent soudain par leur beauté pure. Encore qu’il y aurait à (re)dire sur cette tendance générale, sans cesse plus prononcée, à une sorte d’aseptisation colorimétrique de l’image, et qui fait se demander où diable sont passées les couleurs, les éclats et les bigarrures. Ici la photographie sur la planète Arrakis est fade et manque de nuances, et vu que le film, à 90%, se passe sur Arrakis, c’est dur dur. On saluera en revanche les approches stylistiques sublimant les gris, les blancs et les noirs, et qui se prêtent si précisément à l’univers sombre et inquiétant des Harkonnen (bien que Lynch avait su en faire quelque chose de plus expressif et de plus délirant).

Bref. Le fond maintenant, et c’est là le gros point faible du film. La majorité des personnages, si l’on excepte Paul (et, dans une moindre mesure, Feyd-Rautha incarné par un Austin Butler métamorphosé qui, visiblement, a eu la chance de ne pas avoir à porter le même accoutrement que Sting), est peu approfondie, sans envergure ni trajectoires scénaristiques intéressantes (la palme à Stilgar qui, de chef de clan charismatique, passe à illuminé risible). Acteurs et actrices de prestige viennent montrer leur tête pour la forme, chacun et chacune avec ses peu de scènes à jouer, puis disparaissent pour ne réapparaître que ponctuellement sans parvenir à développer quoi que ce soit dans leur interprétation (tout de même, se payer le luxe d’avoir Christopher Walken, d’une classe légendaire, dans le rôle de l’Empereur, et réduire sa prestation à une dizaine de lignes de dialogues indigents : quel affront).

De fait, la plupart des interactions entre protagonistes est dénuée de réelle intensité (on n’évoquera pas, par décence, l’histoire d’amour de Paul et Chani, insignifiante, molle, jamais incarnée), et la narration souffre de temps à autre d’un montage chaotique dû à ces allées et venues de personnages-figurines. On embrasse l’évolution de Paul chez les Fremen, ses atermoiements existentiels interminables (prophète or not prophète ?), ces conciliabules politiques guère passionnants et ces bisbilles religieuses aux résonances lourdement contemporaines (luttes de pouvoir, guerre sainte, emprise fondamentaliste, détournements de la foi…) avec indifférence tant le récit reste cloisonné dans sa pesanteur programmatique (et des dialogues qui, le plus souvent, se résument à des espèces de punchlines définitives). Suit trop consciencieusement, et jusqu’à en ignorer le reste (on résume : caractérisation travaillée des personnages, fluidité du montage, équilibre entre les différents arcs narratifs…), les espoirs et désillusions de la destinée de son héros plus tourmenté que jamais face à son devenir messie.

Au moins Lynch, et si son Dune est également loin d’être parfait, se permettait des trouées oniriques, des embardées assurément lynchiennes qui pourtant s’accordaient avec la création-monde d’Herbert. Villeneuve, lui, se contente de quelques plans poétiques passe-partout (le ciel, le sable, l’horizon…) ou d’un peu d’action pour réveiller tout ça, le gros morceau étant la bataille finale qui, étrangement, donnera l’impression d’être expédiée à la va-comme-je-te-pousse (et la «radicalisation» de Paul avec), et à laquelle on préfèrera la magnifique scène d’introduction et, bien sûr, celle du domptage d’un ver des sables, passage attendu que Villeneuve réussit haut la main.

Certes, on saura gré à Villeneuve de vouloir élever le blockbuster (on appelle ça un «blockbuster d’auteur») ; d’en faire autre chose qu’un produit lambda sans âme et moche, bouffé par le tout-venant. Mais cette élévation est du même acabit que celle de Nolan, et malheureusement copiée par à peu près tout le monde désormais (faut-il vraiment qu’on reparle du dernier James Bond ?) : trop sérieuse, trop sentencieuse, trop touffue, trop uniforme, et presque à chaque fois plombée par les rengaines pachydermo-mélodiques (oui, rien à foutre, tu inventes des mots) de Hans Zimmer (en même temps, comment rivaliser avec ça ?). Et serait-il possible à un moment de revenir à quelque chose d’un peu plus fun, avec plus de caractère, qui déborde ? D’esquiver la pompe ?

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mymp
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le 1 mars 2024

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