Je crois que si je devais définir la classe en un film, ce serait celui-ci.

Tous, absolument tous les éléments sont disposés de façon à ce que le film respire la classe. Celle des paumés et des râleurs. Celle de l'éternel optimiste qui tire en avant ses deux compagnons défaits. Celle de la Louisiane et du blues. Ça commence par des travellings latéraux d'une beauté terrassante. Ça esquisse des bouts de vie, comme ça, sans aucune prétention, avant d'installer l'intrigue. Ça suit nos 3 loosers, ça s'attarde sur certains éléments sans importance, ça installe une ambiance, en prenant son temps, tranquillement.

L'important ici, c'est les personnages. La technique, aussi réussie soit-elle (et Dieu sait qu'elle l'est!) n'est qu'un support à leur pérégrination. On s'attache avant tout à leurs interactions, et à l'évolution des caractères qui en découle. C'était déjà le cas dans Stranger than Paradise du même Jarmush, ici le cadre carcéral permet de décupler cet aspect.

Le rythme est lent, forcément, mais finalement pas tant que ça. Les scènes sont loin d'être vides, en grande partie grâce au trio d'acteurs parfait de bout en bout (je ne pourrais même pas en mettre un en avant, ils sont tous trois géniaux et complémentaires), mais aussi grâce au talent du réalisateur pour remplir ses films de petits rien, de détails qui font toute la différence. Et puis il y a des scènes comme le « I scream, you scream, we all scream for Ice Scream » en véritable état de grâce, ça vous reste dans la tête et ça vous colle le sourire pour le reste de la journée.

Et pour ne rien gâcher, outre cette caractérisation géniale des personnages, Down by Law est également un film magnifique du côté formel. Les plans sont finement composés, jouant sur les conventions des films noirs, de prison ou d'aventure (j'ai comme l'impression que c'est une constante jarmuchienne, cette façon de détourner les stéréotypes). Les mouvements de caméra (principalement des travellings latéraux) sont propres et discrets, du très bel ouvrage.

Mais l'aspect qui a le plus retenu mon attention, c'est le sonore. Pas la BO, superbe au demeurant, mais je m'y attendais, hein, Jarmush c'est un peu le meilleur avec Wong-Kar Waï à ce niveau, le genre de mec qui non seulement réussi à caser du Screamin' Jay Hawkins, mais qui en plus le fait de façon à ce que ça sonne comme une évidence. Limite la BO de Down By Law paraîtrait en demi-teinte comparée à celles de Stranger than Paradise ou de Dead Man, c'est dire.

Non là, c'est sur les sons d'ambiance que le film s'avère être absolument génial. La foule de petits bruitages qui nous immergent dans le film. C'est particulièrement délectable pour les scènes de prison, où l'on ne voit finalement que la cellule de nos compagnons, mais où l'ambiance sonore est telle que cela ne choque pas le moins du monde. Les autres prisonniers sont là, ils font leur vie, indifférents ou presque à nos 3 protagonistes. Plus tard, ce seront les marais qui nous engloutirons sous leurs sons d'une richesse et d'une finesse sans équivalent à ma connaissance.

Voilà, j'ai découvert Down by Law, et je suis euphorique. J'attendais énormément du film, j'appréhendais un peu aussi, mais finalement il a comblé toutes mes attentes. Intrigue minimaliste, rythme lent, poésie contemplative, protagonistes paumés et attachants, pile le genre d’œuvre que j'adore et que je chéris.

Et puis merde, un film qui se finit avec ce qui est quasiment la meilleure chanson de Tom Waits, forcément, c'est la note maximale directe.

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le 20 févr. 2013

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KreepyKat

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