Quand on connaît la vitalité et l’imagination débridée du cinéma de genre sud coréen, on ne pouvait être qu’enthousiaste à l’idée d’un projet ambitieux comme Doomsday Book. Malheureusement, en dépit de quelques fulgurances et d’une belle consistance visuelle l’entreprise est handicapée par un manque d’originalité thématique et un rythme laborieux.

Initialement conçu comme un film d’anthologie en trois parties réalisé par Kim Ji-Woon (Le Bon, la brute et le cinglé, J’ai rencontré le Diable), Yim Pil-Sung (Hansel et Gretel, Antartic Journal) et Han Jae-Rim (The Show must Go On) Doomsday Book dut changer de forme en cours de production lorsque le financement du film s’effondra en 2006 avant qu’Han puisse réaliser son segment. Le projet fut relancé en 2010 avec l’arrivée d’un nouveau partenaire financier permettant à Yim de concevoir et tourner un final totalement diffèrent de l’idée originale de Han (une comédie musicale façon science fiction tirée de la nouvelle The Gift of the Magi de l’auteur anglais O.Henry). Finalement sorti dans les salles sud-coréennes en 2012, Doomsday Book se présente comme un assemblage de trois variations autour du thème de l’apocalypse. Bien heureusement, le production design globale de l’affaire et sa direction artistique sont irréprochables et à aucun moment les problèmes de financements subis ne transparaissent à l’écran.

Yim Pil-Sung réalise le premier et dernier segment de Doomsday Book et propose des réinterprétations empreintes d’humour noir de thèmes bien connus dans le domaine du film apocalyptique. Dans Brave New World, un jeune homme pas très futé mange une pomme pourrie qui sera à la base d’une épidémie biologique transformant la population en zombies. Rien de bien original dans ce court plutôt bien fichu mais jouant sur des codes tellement usés qu’il peine à surprendre tant il évolue en terrain connu. On décèlera tout de même un humour satirique bienvenu et une parodie amusante de la télévision coréenne, mais difficile de s’enthousiasmer au delà de ça. Heureusement, la réalisation globale est lisible et présente de jolies idées mais tout cela ne dépasse jamais le stade du clin d’oeil ou du simple habillage graphique sans résonance. Reste une liberté de ton assez agréable et rafraîchissante, propre au cinéma coréen, oscillant constamment entre horreur pure, humour et comédie romantique.
Le deuxième segment, Heavenly Creature réalisé par le génial Kim Ji-Woon est à mon avis le plus solide du lot malgré un gros problème de rythme. Dans un futur hautement automatisé, un technicien spécialisé dans la robotique se trouve face à un dilemme lorsqu’on lui demande de désactiver un androïde placé dans un monastère bouddhiste qui semble avoir atteint un trop haut niveau de conscience spirituelle. N’y allons pas par quatre chemins. Même si le design du robot autour duquel tourne ce court rappelle bien trop celui du clip réalisé par Chris Cunningham pour un clip de Björk, la réalisation inspirée et la photo de ce segment sont tout bonnement stupéfiants de beauté. Les mouvements de caméras lents et millimétrés mettent en valeur un décor magnifiquement éclairé, le tout filmé avec un sens de la composition graphique effarant prouvant encore la maestria technique du réalisateur de l’excellent J’ai rencontré le Diable. Dommage que cette réflexion sur l’intelligence artificielle soit matraquée dans une scène finale interminable grâce à un long monologue d’exposition insupportable venant assommer le spectateur. On peut comprendre le désir de vouloir faire coïncider la quasi perfection de la forme avec un fond de qualité mais n’est pas Kubrick qui veut et résultat final est de ce fait un tantinet décevant. Malgré une idée de départ intéressante et intrigante posant une véritable question philosophique, Kim Jim-Woon se prend donc les pieds dans le cyber tapis en voulant donner une épaisseur artificielle inutile à son film.

Happy Birthday, le segment final totalement barré et loufoque conclu cet omnibus avec légèreté. Une petite fille commande sur le net une boule de billard pour son père et réalise 12 ans plus tard que son revendeur en ligne était en fait un site dédié aux clients extra-terrestres. La boule arrive bien à son destinataire mais elle fait la taille d’une planète et s’apprête à oblitérer la terre. Happy Birthday fait preuve de bien plus d’originalité que Brave New World et son côté surréaliste joue en sa faveur. Evidemment rien n’est crédible dans cette fable apocalyptique mais tout l’intérêt du court réside dans les relations entre la petite fille, ses parents et son oncle. On sent beaucoup de complicité et d’amour dans cette cellule familiale et c’est cette dynamique qui fait avance ce joyeux bordel. En détournant les codes du film catastrophe moderne type Deep Impact ou Armageddon, Yim Pil-Sung construit ainsi un univers attachant aussi drôle qu’absurde. Mention spéciale pour les présentateurs du journal télévisé local à mourir de rire venant ponctuer ce segment de scènes excellentes toutes plus hilarantes les unes que les autres.

N’atteignant jamais des sommets, Doomsday Book est néanmoins un film d’anthologie à voir pour les amateurs de cinéma coréen. En l’état, cette plaisante compilation aux accents de Twilight Zone asiatique propose suffisamment de style et de substance pour ne pas ennuyer pendant presque deux heures mais semble malheureusement peu originale et en fin de compte assez décevante. Recyclant des concepts et des idées déjà vus cent fois dans d’autres oeuvres, le film trouve son salut grâce à une approche rigoureuse de la réalisation et une qualité de production incontestable. Le tout est hélas plombé par un rythme bancal créant un déséquilibre permanent et un manque de cohérence dans le ton rendant l’expérience assez frustrante.
GillesDaCosta
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le 23 nov. 2012

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Gilles Da Costa

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