Chronique d'une mort annoncée.Agramonte,Sicile,début des années 60.Ferdinando Cefalu,baron quadragénaire désargenté et oisif vivant avec ses parents dans leur grande demeure,tombe amoureux de sa jeune cousine Angela,une lycéenne de 16 ans à la beauté terrassante.La jouvencelle partage ses sentiments mais il y a un obstacle majeur à leur idylle,la présence de Rosalia,épouse légitime de Féfé,une mocheté moustachue,stupide et collante.Seulement voilà,dans cette région,dans ce milieu et à cette époque encore très marqués par le catholicisme,on ne divorce pas.L'homme élabore alors un plan visant à pousser sa femme dans les bras d'un amant pour pouvoir jouer les maris outragés,tuer la traîtresse et s'en tirer avec une peine légère vu que le crime passionnel fait par contre l'objet d'une grande mansuétude judiciaire.Pietro Germi fait partie,dans le contexte de la comédie à l'italienne,de la première division mais se situe plutôt en bas de tableau,nettement en-dessous des cadors du genre,les Scola,Risi,Monicelli ou Comencini,mais loin devant les gregarios style Nanni Loy ou Steno.Cependant cet ancien réalisateur de polars ne démérite pas et "Divorce à l'italienne" est un de ses meilleurs films.Il en a coécrit le scénario avec ses excellents camarades Ennio De Concini et Alfredo Giannetti tandis que des pointures sont chargées de la photo,ce superbe noir et blanc net et contrasté typique du ciné rital de l'époque signé Carlo Di Palma,et de la musique très inspirée composée par Carlo Rustichelli.Germi se livre à un exercice à la fois subtil et incisif visant à vitrioler les moeurs siciliennes de ce temps-là,soulignant avec une ironie décapante le décalage hypocrite séparant les comportements publics et privés d'une population confite en dévotions extérieurement et dévorée intérieurement par l'obsession sexuelle et la cupidité.Cette dichotomie traitée en mode comedia dell'arte pousse au maximum un cynisme absolu sans pour autant condamner des personnages au fond terriblement humains,ce qui nous vaut au passage une étude de caractères très fouillée,tous les protagonistes existant puissamment.Le pivot de l'histoire est bien sûr Féfé,cet aristo fin de race gominé,fumeur et buveur se noyant dans ses manigances sophistiquées consistant à organiser son propre cocufiage afin de justifier un assassinat.C'est parfaitement atroce et horriblement drôle,mettant en évidence que dans cette société le meurtre est moins grave que l'adultère.Ce qui est encore plus terrible est que le type parait relativement sympathique,beaucoup plus que sa potentielle victime,une idiote criailleuse particulièrement pénible.La bellissima Angela a du répondant et de la constance,soutenant son soupirant avec une certaine maturité.Il y a aussi Cefalu père,un vieillard fauché et libidineux,Carmelo,l'amant manipulé à la fatuité imbécile,Sisina,la jeune bonne pas farouche,Agnese,la soeur de Ferdinando,un laideron qui passe sa vie à se faire lutiner dans les coins par son fiancé,un croque-mort au physique ingrat,tout en protestant de sa vertu,Don Calogero,le paternel d'Angela,un gros lard parvenu hyper motivé par l'argent,Don Ciccio,le parrain mafieux du bled,sourdement menaçant,et maître De Marzi,l'avocat au look d'ogre spécialisé dans la défense des criminels d'honneur,jamais en panne de grandes envolées emphatiques et mélodramatiques.Tout ce petit monde s'agite autour de Féfé,lequel poursuit obstinément son but,se débarrasser de Rosalia afin de convoler avec Angela.Le réalisateur filme utile et en souplesse,magnifiant la petite ville d'Ispica,ici nommée Agramonte,les vieux et superbes bâtiments s'alignant le long de rues embellies par la profondeur de champ pendant que la caméra de Germi se balade avec aisance d'extérieurs en intérieurs et de pièces en pièces avec une impressionnante lisibilité.On pense aussi à la saga des "Don Camillo" avec ces rivalités entre communistes et cathos qui finissent par "communier" ensemble dans leur défense archaïque des moeurs.Hélas,comme souvent chez le cinéaste,l'intrigue finit par donner de la bande et le dernier tiers du film rame un peu.Ca s'éternise,ça se répète,on ne voit plus très bien où ça veut en venir alors que ça force un peu sur la caricature et le folklore.Le spectacle reste cependant fort recommandable et aura le bon goût de pousser la noirceur jusqu'au bout.Les comédiens,célèbres ou pas,ont tous des physionomies tranchantes et jouent à merveille leurs très diverses partitions.Au milieu du dispositif trône un Marcello Mastroianni génial dans le rôle d'un séducteur au petit pied se livrant à de sombres magouilles avec une totale inconscience,une sorte de contre-emploi étonnant.Daniela Rocca parvient à limiter les dégâts en épouse cruche insupportable et Stefania Sandrelli crève l'écran en ingénue perverse.Leopoldo Trieste est fantastique en pauvre mec piégé aux sentiments et Odoardo Spadaro assure en vieux baron madré.La jeune Margherita Girelli fait preuve d'une belle fraîcheur en petite domestique soumise tandis qu'Angela Cardile et Lando Buzzanca forment un hilarant couple d'amoureux disgracieux et coincés.Ugo Torrente est très bien en maquignon adipeux et cupide,ainsi que Giovanni Fassiolo en caïd inquiétant.Pietro Tordi est magistral en avocat emphatique sans scrupule aux envolées délirantes.

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le 2 août 2023

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