C'est l'histoire d'une fille qui se désape pendant 1h40

Dirty Dancing, avec son titre so 80', sa bande sonore cheesy au possible, sa tension sexuelle palpable jusque sur son affiche et la fossette sur le menton de son bellâtre d'acteur principal, se traîne une image de bluette niaise pour adolescente en feu ; une comédie romantique plaisir coupable, tout au plus. Pourtant, et même s'il y a effectivement des moments où Patrick Swayze aurait pu faire l'effort d'enfiler une chemise, ce serait une erreur de s'arrêter à ces éléments de communication, tant le film les utilise selon moi avec beaucoup d'intelligence.


Dès l'introduction, narrée pour la seule et unique fois du film par la voix-off d'une "Bébé" qui semble se remémorer une période décisive de sa vie, les enjeux sont posés avec une efficacité déroutante : nous sommes en 1963, juste avant l'assassinat de Kennedy, et avant l'arrivée des Beatles aux États-Unis. On aurait pu dire, avant la marche de Luther King, avant les Civil Rights, ou avant les protestations contre le Viet Nam, qui sera de toute façon évoqué plus loin dans le film. Bref, nous sommes à une époque charnière des États-Unis, tant politiquement que sociologiquement, les années 50 sont chassées par les années 60 qui voient l'émergence d'une jeunesse idéaliste, rêvant d'émancipation et de justice sociale. Dans la même introduction, Bébé nous présente son rapport à son surnom ("ça ne me dérangeait pas encore") et à son père ("je pensais que je ne trouverais jamais un mec aussi cool que lui"). C'est ce parallèle entre une jeune fille qui devient adulte et une Amérique qui évolue qui va constituer la toile de fond thématique de tout le film, et dès lors, la tension sexuelle ressentie dans le cadre d'une relation extra-classes, entre une gosse de riche et un enfant de la rue, ne cessera de faire écho à la tension sociale qui règne dans ce camp de vacances bourgeois et plus généralement aux États-Unis.


Évidemment, il ne faudrait pas exagérer la profondeur d'un film qui s'assume avant tout comme un divertissement. Bien sûr, certaines oppositions sont simplistes (certains employés du camp sont des gosses de riche allant dans les meilleures universités du pays et sont autorisés à draguer les filles des clients, alors que ceux d'origine plus modeste n'en ont pas le droit), et la résolution facile et niaise. Pourtant, le film paraît résolument sincère par bien des aspects. Le jeu de Jennifer Grey par exemple, qui ne retient pas sa spontanéité, ses éclats de rire et ses mimiques inattendues (aidées par un réalisateur qui a fait le choix de prendre plusieurs scènes de préparation où les acteurs ne jouent pas encore).


Mais surtout l'écriture des personnages. J'ai notamment été assez surpris de ne pas voir réellement d'opposition ou de rebondissements artificiels dans ce film (malgré certains clichés de fils à papa assez secondaires). La relation entre Bébé et son père, un progressiste hors-sol qui rêve qu'elle change le monde et l'a appelée Frances en référence à la première femme ministre des États-Unis, mais n'accepte bien sûr pas sa relation avec Johnny tout en soignant tout de même son amie souffrante, dépeint assez bien ce que peuvent être les hésitations d'un homme qui essaie d'être un bon père et un bon citoyen, et ce que peut être une émancipation réelle dans un cocon familial relativement sain. Le personnage de Johnny, qu'on qualifie volontiers de bad boy, n'a en réalité aucune de ses caractéristiques : c'est un artiste, qui aime danser, qui a une amitié profonde avec une femme, et qui se fait malmener par ses employeurs ; très vite, on comprend que ses quelques réactions taciturnes proviennent d'une méfiance justifiée. Le personnage de la jeune fille qui sort de sa chrysalide est quant à lui traité avec une justesse étonnante pour l'époque, toute en subtilité, par l'aisance qu'elle prend peu à peu à se mouvoir, et par ses tenues de moins en moins étouffantes. Ainsi, et logiquement, la relation entre Bébé et Johnny ne s'embarrasse pas de la fausse pudeur et de la mièvrerie propre à certaines comédies romantiques. De manière tout à fait cohérente avec le propos du film, l'attirance de Bébé est assumée dès le départ et le baiser ou la relation sexuelle ne seront pas les récompenses de fin de film mais l'évolution logique d'une relation qui se construit et où chaque personnage fait grandir l'autre (ou plutôt le porte mdr (parce que le porté (mais en anglais c'est lift donc ça marche mieux))). Le film ne joue pas non plus trop du cliché de la relation entre les deux personnages que tout oppose et la défiance du début, assez logique, ne perdure pas artificiellement.


Un dernier mot sur la danse. Dans la lignée de Flashdance, la danse est ici intra-diégétique et pas une sorte d'aparté onirique comme dans les comédies musicales des années 50, c'est une danse charnelle, mais surtout c'est une danse réaliste, filmée sans fioritures, aux chorégraphies modernes, naturelles, parfois abruptes. Ici la danse ne va pas chercher dans la mise en scène les moyens d'exacerber sa beauté, elle est belle en soi, parfois déroutante et maladroite, parfois anarchique, elle véhicule en premier le besoin de libération qui sous-tend tout le film. Ces chorégraphies faites d'allers-retours et de mouvements saccadés mais à l'énergie toujours positive font très efficacement écho à la relation entre les deux héros et sont, en tant qu'amateur, un des points qui m'ont rapidement fait entrer dans le film mais surtout en donnent très vite le ton.


Peut-être ai-je surévalué le film tant il a largement dépassé les attentes que je m'étais faites à partir de l'image qu'il se traîne, mais je l'ai en tout cas trouvé touchant et surtout mesuré. Plus naïf que niais, plus idéaliste qu'enfantin, c'est un feel good movie simple qui ne tire pas trop sur ses ficelles et propose un beau traitement grand public des thèmes de l'émancipation, de l'évolution, de la tension et du déséquilibre.


Apparemment plutôt à regarder en VO, il paraît que la VF l'a rendu plus nanardesque.

Arbuste
8
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le 29 nov. 2020

Critique lue 69 fois

Arbuste

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