C'était vraiment très mauvais. La raison principale, c'est qu'il y a beaucoup trop à traiter en 2h20 : caractériser Batman, traiter sa rivalité et sa lutte contre Superman, introduire Luthor et développer la méfiance du monde envers le Kryptonien, pour enfin introduire Wonder Woman, sont les objectifs principaux du film. Et c'est trop.


Le premier souci est que ça crée un tout difforme, incohérent (au sens où ça manque d'unité d'ensemble), qui ne s'arrête jamais sur aucun thème à traiter. Les enjeux sont survolés, le traitement est superficiel, et l'implication du spectateur en pâtit. Il en ressort quelque chose de très plat, parce qu'on ne ressent jamais vraiment les choses qu'on nous présente. On ne ressent pas la haine de Batman envers l'homme d'acier, on ne comprend pas la mélancolie de Superman, qui semble souffrir de l'ingratitude de l'humanité quand on ne l'avait jamais su vaniteux. On n'a surtout pas de problématique fondamentale développée suffisamment pour nous toucher et nous impliquer personnellement (ce qui est assez paradoxal, le surhomme étant particulièrement adapté au traitement des thèmes profonds du genre humain), là où évidemment ce n'est pas non plus l'empathie pour les personnages qui fera le job.


La caractérisation de Batman est d'ailleurs un échec selon moi. Il est présenté comme luttant contre le crime depuis 20 ans, mais il est vraiment problématique de ne jamais rien voir de son parcours antérieur, d'autant qu'on ne s'attarde pas non plus sur le personnage en tant que tel pour traiter la fatigue qui l'accule : il ne fait qu'en parler, mais à quel moment se pose-t-il sur une chaise pour souffler ? On préfère utiliser les ficelles grossières du rêve qui sert aussi de teasing, ce rêve que personne ne fait jamais, et qui ne nous rapproche clairement pas du personnage. J'ai été surpris après la séance de voir des fans de comics caractériser Batman de psychopathe, mais ce n'est vraiment pas ce que j'ai vu; encore une fois, on ne ressent pas la chose. Il y a par exemple une scène d'entraînement avec musique épique qui est juste ridicule : sans se sentir proche du personnage, sans connaître ses motivations profondes et en quoi cet entraînement peut être exceptionnel pour lui, c'est juste un mec en train de faire des pompes. Et la caractérisation est maladroite sur sa narration aussi : au début du film, Wayne sauve une petite fille et voit Superman se battre; or, si on savait à ce moment-là qu'il était déjà Batman, on comprendrait mieux son ressenti face à ce demi-Dieu qui le surpasse. Mais là, on ne sait pas ce qu'on regarde.


En plus de ça, il est complètement sous-développé, sans cesse montré en position de faiblesse par rapport à Superman, sans cesse manipulé. La vraie problématique qui intéresse Snyder, on le sent, c'est Superman. J'ai vraiment eu l'impression de voir un Man of Steel 2 : le Dieu face au doute des humains, voilà ce dont veut parler Snyder. Et on sent cette condescendance à l'égard de l'humanité, car le seul personnage qui fait montre d'une certaine sagesse (qui préconise une certaine méfiance envers Superman, ce qui est normal, tout en ne lui crachant pas à la gueule) est ultra-secondaire. Du coup, la lutte qui oppose les deux héros n'a pas l'appui d'une symbolique et d'une signification forte dans les deux camps pour la rendre épique (encore une fois, l'homme face à Dieu est effleuré, mais traité à l'arrache, en une réplique que je considère comme un moment de bravoure, mais celui ayant la psychologie la plus développée et les motivations les plus logiques est clairement Superman, il est la victime d'une agression injuste, donc il n'y a pas vraiment de lutte idéologique), d'autant que la réalisation ne remplit pas le job non plus, le combat est médiocre.


Par ailleurs, ce manque de temps oblige à se servir de raccourcis parfois grossiers : quid de Gotham situé à 500m de Metropolis, quid de ce massacre à Nairobi central dans l'intrigue - et dans le ressenti : on partagerait peut-être un peu mieux la méfiance des humains si on avait vu les résultats de l'erreur de Superman - mais qu'on ne nous montrera pas (au passage, Nairobi c'est un hameau de 4 baraques et ça ne mérite pas un pays, on dira juste que c'est en Afrique), quid du vaisseau des Kryptoniens que personne n'a pensé à déplacer ou à sceller et qui squatte toujours à ciel ouvert en plein coeur de Metropolis, quid de cette ÉNORME ficelle narrative du prénom de la mère de Bruce Wayne (à la limite ça aurait pu passer si c'était mieux traité, mais là l'utilisation est juste ridicule et beaucoup trop facile) ou de ce rêve complètement parachuté au milieu du film qui n'a de lien avec absolument rien et qui est là juste pour servir de teasing ?


Et quid de comment Luthor a découvert l'identité de Superman ?


Et en sus de tout ceci, ça crée de gros problèmes de rythme. Sur 2h20 de film, on passe 1h30 à faire de l'exposition lente et chiante, sans aucun relief, ultra-verbeuse, en passant sans arrêt d'une phase d'enquête de 5 minutes où on n'a pas le temps de poser les enjeux pour s'impliquer vraiment à du blabla philosophique sur la place de Dieu dans l'humanité, en faisant un détour par de la caractérisation de méchant ou de l'explication de background. Comment m'intéresser à ce qui se passe quand on change sans arrêt de point de vue et d'enjeux (je reviens à la question de l'incohérence de fond) ?
Mention spéciale à une scène complètement ratée au milieu du film se déroulant en montagne, qui sort de nulle part, et dont on n'a absolument rien à foutre.


Alors au-delà de ça, le dernier combat est plutôt stylé (même si Snyder abuse un peu trop d'effets dégueulasses, notamment les zooms qui partent n'importe où, ou les effets de lumières un peu baveux). C'est, je pense, le combat de super-héros le plus épique que j'ai pu voir au cinéma, tant dans son déroulement que dans ses enjeux. La menace est réelle.


Là où les Avengers se font toujours déborder par le nombre, notre petite Ligue en formation affronte un seul et unique ennemi surpuissant, dont on ressent l'incroyable puissance.
Mais encore une fois, Superman en est la star, et on ne voit quasiment pas Batman, alors qu'il aurait au moins pu je sais pas, aller chercher la lance. Il reste le personnage principal du film. Quant à la fin, elle traîne pas mal en longueur puisqu'il y a globalement l'équivalent de 3 scènes post-générique en guise de teasing (teasing de la ligue des justiciers, teasing du prochain méchant et teasing du retour de Superman) et son montage est un peu décousu (un détail, mais la discussion entre Wayne et Prince au cimetière qui enchaîne sur Batman qui fait du rien avec Luthor pour revenir sur le cimetière, ce qui veut dire que c'était un flash-back, mais que rien n'indiquait, m'a un peu gêné en guise de note finale). Et certains des meilleurs moments sont empruntés à d'autres films comme The Dark Knight ou Superman Returns, ce qui est quand même un peu dommage (je pense à l'attaque de Batman dans l'immeuble, le seul moment du film où il est un tant soit peu mis en valeur, ou au voyage stratosphérique de Superman).


Alors il y a une patte, le ton est bien plus sombre qu'un Marvel, c'est appréciable. L'imagerie est moins lisse, plus minérale. Mais ça ne suffit pas à vraiment caractériser un film qui passe son temps le cul entre deux chaises, qui se voudrait film d'auteur religieux mais ne peut jamais développer correctement son propos parce qu'il reste malgré tout un film de super-héros.


Et c'est dommage. Dommage parce que je doute que le film arrive vraiment à trouver son public, alors que Marvel aurait bien eu besoin d'un concurrent pour lui mettre un gros coup de pied au cul, et que malgré tout j'aurai apprécié son ton. Wait and see.

Arbuste
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le 23 mars 2016

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Arbuste

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