Après ce septième long-métrage, Jacques Audiard dispose d'une filmo parmi les plus qualitatives et homogènes du cinéma français contemporain, parvenant à concilier exigence cinématographique et contraintes commerciales, qualités formelles et propos "engagé", approbation critique et succès public.

Si "Dheepan" ne constitue pas son film le plus abouti, en dépit de la Palme d'or cannoise obtenue à la surprise générale, il s'inscrit harmonieusement dans l'œuvre globale de son auteur, marquée socialement et politiquement.

Audiard part en effet d'une idée brillante car terriblement ancrée dans le réel : deux migrants tamouls isolés optimisent leur chances de départ en formant un faux couple marié, complété artificiellement par "l'adoption" d'une jeune orpheline, opportunément rencontrée dans leur camp de réfugiés.

Une fois arrivée en France, cette famille factice est installée dans une banlieue grisâtre très défavorisée, où la misère locale constitue pour eux un petit paradis au regard du pays en guerre qu'ils viennent de fuir.
Tandis que Yalini, la jeune femme, s'occupe des soins d'un vieil homme malade, Dheepan, le chef de famille, occupe le job de gardien d'immeuble dans cette cité pourrie, où la police n'ose plus venir et où les délinquants appliquent leurs propres lois.

On a reproché à Audiard d'avoir forcé le trait dans sa description de ces zones de non-droit ; pourtant cette réalité existe bel et bien, même si pour le moment ces espaces abandonnés restent sans doute très minoritaires. Cela dit, c'est bien le rôle d'un cinéaste que d'alerter les consciences, quitte à mettre en scène des situations volontairement exagérées.

J'ai beaucoup aimé les séquences dans l'intimité du "cercle familial" tamoul, lorsque le trio commence à s'apprivoiser, après des débuts forcément heurtés. Audiard signe là une fable humaniste pleine de poésie et de pudeur, dont les inspirations naturalistes évoquent parfois le travail de Kechiche.

Je suis moins enthousiaste sur la dernière partie du film, lorsque Dheepan exorcise ses vieux démons dans une montée de violence qui le renvoie symboliquement à son passé militaire barbare. Avec une certaine perplexité, on s'interroge alors sur les véritables intentions du réalisateur français...

En dépit de quelques maladresses, Jacques Audiard propose une nouvelle fois un film dense et éprouvant, servi par une très belle interprétation, qui questionne notre société française, sa générosité et ses insuffisances, en la confrontant au regard du peuple tamoul, rappelant ainsi toutes proportions gardées le procédé de Montesquieu dans ses "Lettres persanes".

Créée

le 20 juil. 2022

Critique lue 414 fois

12 j'aime

7 commentaires

Val_Cancun

Écrit par

Critique lue 414 fois

12
7

D'autres avis sur Dheepan

Dheepan
Docteur_Jivago
5

L'enfer et le paradis

Trois années après De Rouille et d'os, Jacques Audiard revient avec Dheepan, tout juste auréolé d'une première palme d'or pour lui, où il va mettre en scène le destin d'un ancien soldat rebelle,...

le 29 août 2015

59 j'aime

12

Dheepan
pphf
6

Précis de décomposition pour famille en recomposition

La difficulté, tout le monde l’aura immédiatement perçue, est que l’on assiste à deux films en un, consécutifs et juxtaposés, avec un gros hiatus, un document réaliste, presque naturaliste et assez...

Par

le 21 sept. 2015

44 j'aime

7

Dheepan
guyness
5

Quand le tamoul fritte

Un des principaux reproches adressés à l'époque, de manière un peu hâtive ou au moins légère, est cette recherche frénétique du like sous toutes ses formes, sur toutes les plateformes numériques...

le 26 janv. 2016

41 j'aime

39

Du même critique

Baby Driver
Val_Cancun
4

L'impossible Monsieur Baby

Cette fois, plus de doute, le cinéma d'Edgar Wright, quelles que soient ses qualités objectives, n'est définitivement pas pour moi. D'ailleurs je le pressentais déjà fortement (seul "Hot Fuzz"...

le 20 juil. 2017

60 j'aime

15

Faites entrer l'accusé
Val_Cancun
9

Le nouveau détective

Le magazine haut de gamme des faits divers français, qui contrairement aux (nombreux) ersatz sur la TNT, propose toujours des enquêtes sérieuses, très documentées, sachant intriguer sans tomber dans...

le 2 avr. 2015

49 j'aime

11

Bullet Train
Val_Cancun
4

Compartiment tueurs

C'est le genre de film qui me file un méchant coup de vieux : c'est bruyant, bavard, ça se veut drôle et décalé mais perso ça m'a laissé complètement froid, tant les personnages apparaissent...

le 4 août 2022

46 j'aime

17