Je me suis rendu compte que j’aimais les films de Robert Rodriguez en percevant d’abord vaguement son côté artisanal-surdoué. Une façon de faire qui semble être la transposition exacte de sa cuisine : c’est la recette du pauvre sublimée par un festival d’épices, le travail d’un artisan de peu d’ambition attentif jusqu’au moindre détail à ce qui pourra élever sa petite création au rang de chef d’œuvre low-cost. L’inspiration est évidente, attrape-tout, ultra-référentielle comme chez Tarantino, mais à la différence de ce dernier elle n’alimente aucun phantasme de cinéaste, aucune mégalomanie entretenue par des hordes d’adorateurs serviles. Le seul carburant c’est le plaisir, celui qu’on ressent gamin à se prendre pour un dessinateur de bd, à jouer du punk dans son garage ou imaginer des idées de films bien meilleures que ce qu'il en reste au cinéma.

Rodriguez a de toute évidence su respecter le pacte qu’il a dû se faire à lui-même dans sa prime jeunesse. Il bosse chez lui (le meilleur endroit pour rêver…) où il a tout conditionné à la fabrication de ses films. Il écrit ses scénarios en même temps qu’il compose la musique, la musique lui permettant de visualiser ses scènes, de déterminer ses effets. Il tourne en HD et réalise quasiment à la maison les trucages numériques sur le moment en fonction des besoins. Tout le film devient ainsi une palette avec laquelle il peut jouer. Sa liberté est une sorte de paradoxe, son rapport à la technologie l’antithèse absolue de celle que déploient les grosses machines 3D sur lesquelles s’éreintent des armées d’experts.

A l’écran cela devient comme un roman graphique animé par une pléthore de personnages dont les motivations n’ont pas la moindre importance. Le référent n’est pas le cinéma mais la bd (la bd comme art visuel plutôt que narratif). L’écriture n’est pas non plus jetée à la poubelle, ce qui serait contraire au soin "artisanal" avec lequel Rodriguez s’applique à faire ses films. Le caractère ultra-référentiel de l’univers fictionnel, qui passe par ces tronches, ces personnages qui appellent un imaginaire purement visuel, la renvoie au travail de la caméra, à la composition, au montage.

Le type de conviction produit par cet imaginaire de la "gueule" est très lié à une forme d’authenticité. Un respect de soi-même qui tient à la méthode de travail, au "pacte" que cette méthode entretient, fondé sur le plaisir. Cette affirmation qui l’emporte sur tout le reste (tout ce dont Hollywood peut être synonyme) se résume dans la formule "one-man film crew" où l’équipe c'est l'homme, et l'homme c’est l’unité familiale. Il y a un côté fordien là dedans, qu’on retrouve à l’image sous la forme de valeurs tout à fait discrètes mais prégnantes : une esthétique mais pas d’esthétisation, une absence d’esbroufe, une forme de dignité à l’endroit des figures et des formes qui tient à l’affirmation d’un imaginaire. La maîtrise technique emballe la scène la plus violente ou idiote dans le sens d’un esprit ludique, libre et jouisseur. Contrairement à la violence tarantinesque, le plaisir ne vient pas de la destruction (nul besoin de casser ses jouets, je pense à la critique de Torpenn sur Django Unchained). Le plaisir est lié à une sorte d’élévation iconique par la violence et grâce à la technique (chez Ford c’était le tumulte des cavalcades, les chutes de corps qui accomplissaient cet effort d’élévation à l’imaginaire).

Moi je dis à bas Tarantino, viva Rodriguez.
Artobal
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le 1 avr. 2013

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