Ce sont des hommes qui ont fait ça ?

Une double découverte, ce film et Lucas Belvaux, le réalisateur … Enfin, pour ce dernier, je connaissais l'acteur, l'avais d'ailleurs apprécié dans "Allons z'enfants" (Boisset) ou "Poulet au vinaigre" (Chabrol) mais je ne l'avais jamais vu en tant que metteur en scène.

L'idée de départ est intéressante : dès lors qu'on octroie à un individu un permis (voire un devoir) de tuer, dès lors qu'on lui assigne, en plus, des objectifs, dès lors qu'on félicite l'individu pour ses résultats (faits d'arme), sans vouloir généraliser, on peut être certain qu'il y aura des cas de dérapage où l'individu se croira tout permis.

Là, Lucas Belvaux applique ceci à la guerre d'Algérie. Mais dans toute guerre, depuis que le monde est monde, on trouverait les mêmes travers et la même conclusion : la guerre est sale.

Le film montre le poids de la flétrissure que deux appelés du contingent, cousins au civil, peuvent encore ressentir une cinquantaine d'années plus tard pour avoir assisté ou été indirectement la cause d'atrocités. Atrocités d'un camp qui n'ont rien à envier aux ignominies de l'autre camp.

Le film est construit en deux parties aujourd'hui, dans un petit village du Morvan et dans les années 60 en Algérie. Les deux cousins, anciens combattants donc, ne se sont jamais apprécié. Et quand le passé remonte à la surface à l'occasion d'une fête au village, plus personne ne les comprend. Pire, les haines, les jalousies, les rancœurs s'expriment. On en vient alors à des gestes et des paroles haineux et racistes qui dépassent les pensées et qui sont inadmissibles. Totalement inacceptables aujourd'hui.

Il est temps, dans le film, de tenter d'exprimer enfin ce qui a été tu pendant si longtemps chez ces deux cousins : c'est si difficile de parler que ce sera une voix off qui le fera ou une voix qui lit des courriers de l'époque.

Trois acteurs principaux.

Gérard Depardieu dans le rôle d'un des cousins de nos jours, Bernard surnommé "Feu de bois". Un (vieil) ours (pachydermique) mal léché ! Oui, car il a toujours en lui, cette violence qui n'a fait que s'exacerber en Algérie. Comme il y a un demi-siècle, une contrariété, un refus et il explose, éructe, joue avec ses poings. Depardieu, quoi, dans ses grands jours ! Et c'est plutôt bien vu de la part de Belvaux. Sauf qu'on peut regretter les trop nombreuses ellipses qui brouillent un peu la vision du personnage sur le fond et empêchent toute empathie. Sur le principe (humaniste) que nul n'est complètement mauvais.

Gérard Darroussin dans le rôle du deuxième cousin de nos jours, Rabut. Lui, c'est un taiseux et tout le contraire de Bernard. Pratiquement, il ne s'exprime qu'en lui-même et donc qu'à travers la voix off. Comme pour le cas du personnage joué par Depardieu, on peut regretter que le cinéaste ne nous ait pas accordé plus de clés de compréhension.

Catherine Frot dans le rôle de la sœur de Bernard (Depardieu). À mon avis, elle est un peu sous-employée puisqu'on ne la voit réagir vraiment que dans la première partie contre un Depardieu hors de lui. Et c'est bien dommage car on aurait eu plaisir à lui voir jouer un rôle plus actif dans la deuxième partie.

Une faiblesse du casting qui aurait pu être résolue avec un peu d'astuce, c'est l'absence totale de ressemblance entre les acteurs de 2020 et ceux de 1960 qui nuit à la compréhension notamment dans les scènes d'action.

Ne connaissant pas le roman dont est extrait le scénario, il est difficile de statuer sur les ellipses qui entourent les personnages principaux et les rend un peu abscons aux yeux du spectateur. Il ressort quand même que Lucas Belvaux a bien mis en scène cette histoire de traumatisme ancien enfoui au sein de chaque personnage et qui a beaucoup de mal à s'exprimer au bout de plusieurs décennies. La vision de la place - introuvable – des harkis dans notre société est décrite avec une grande justesse.

JeanG55
7
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à sa liste Films de guerre - Vingtième siècle

Créée

le 22 août 2023

Critique lue 30 fois

3 j'aime

3 commentaires

JeanG55

Écrit par

Critique lue 30 fois

3
3

D'autres avis sur Des hommes

Des hommes
PierreAmo
9

Un homme en colère. Paradis perdu.

Je découvrais ce film en même temps qu'un doc sur Michael Cimino ('God Bless America' de Jean-Baptiste Thoret) dont des citations peuvent m'aider à dire ce que j'ai ressenti et aimé dans le film de...

le 19 juin 2021

14 j'aime

17

Des hommes
Fêtons_le_cinéma
9

« Pourquoi soudain on a peur de ce silence et plus encore de ce que ça peut dire »

La thématique de la conciliation, entendue comme l’entreprise qui cherche à réunir au sein d’un ensemble des individus isolés et opposés, occupe une place de choix dans le cinéma de Lucas Belvaux. On...

le 2 juin 2021

10 j'aime

4

Des hommes
LADYA
5

Guerre d'Algérie : Traces et Cicatrices

Ne connaissant pas le livre dont le film est tiré, je me suis contentée d'être interpellée par une bande annonce qui laissait entendre un retour de regards sur la guerre d'Algérie et le racisme...

le 3 juin 2021

8 j'aime

2

Du même critique

La Mort aux trousses
JeanG55
9

La mort aux trousses

"La Mort aux trousses", c'est le film mythique, aux nombreuses scènes cultissimes. C'est le film qu'on voit à 14 ou 15 ans au cinéma ou à la télé et dont on sort très impressionné : vingt ou quarante...

le 3 nov. 2021

23 j'aime

19

L'Aventure de Mme Muir
JeanG55
10

The Ghost and Mrs Muir

Au départ de cette aventure, il y a un roman écrit par la romancière R.A. Dick en 1945 "le Fantôme et Mrs Muir". Peu après, Mankiewicz s'empare du sujet pour en faire un film. Le film reste très...

le 23 avr. 2022

21 j'aime

8

125, rue Montmartre
JeanG55
8

Quel cirque !

1959 c'est l'année de "125 rue Montmartre" de Grangier mais aussi des "400 coups" du sieur Truffaut qui dégoisait tant et plus sur le cinéma à la Grangier dans les "Cahiers". En attendant, quelques...

le 13 nov. 2021

21 j'aime

5