Decasia
7.4
Decasia

Film de Bill Morrison (2002)

Avec Decasia, Bill Morrison entreprend un grand œuvre aux références multiples : un clin d’œil à Disney sous forme de véritable symphonie visuelle digne de la trilogie Qatsi. Le réalisateur veut dépasser la simple relation image-musique en y intégrant une réflexion et une recherche visuelle poussées, en co-création avec Michael Gordon (compositeur déjà présent sur City Walk), avec pour thème principal le remploi de vieilles bobines oubliées. Pour éviter la logorrhée, les superlatifs et autres références à William Basinski, on peut se focaliser sur un point essentiel à la beauté de ce long clip : la relation de la matière (pellicule) avec son sujet (humain). Les détériorations multiples, brûlures et moisissures, subies par ces bouts de film aux origines diverses, n'auraient pas le même impact si elles n'entretenaient une relation presque intime avec les individus capturés dans le cadre. Ces gens-là sont l'âme de Decasia, ils sont signifiants - médiateurs entre deux époques, et commentateurs malgré eux. Inexistante, la trame narrative est remplacée par l'apparition de formes cycliques qui donnent son rythme à l’œuvre : sur le plan du montage, avec la ligne d'horizon désertique (digne d'un David Lean) et bien sûr le derviche tourneur (annonciateur de transe visuelle) ; mais le cycle apparaît dans sa représentation directe, par des métiers à tisser ou d'autres mécanismes à roue. Des séquences presque terrifiantes viennent les traverser, notamment celles des enfants chez les bonnes sœurs, comme autant de petits spectres perdus, gardés par de morbides silhouettes thuriféraires. Les anonymes deviennent les acteurs d'un grand drame, et le temps, un personnage à part entière, une présence concrète sur la bande, au ralenti. Ses outrages viennent dégrader la peau d'une femme en séance UV, s'immiscer entre un boxeur et son sac de frappe ou créer un manège infernal. Quand la pellicule brûlée ou moisie occupe pleinement l'espace, on pourrait prêter à ce festival grandiose une finalité morbide ; mais paradoxalement, ce long-métrage expérimental exprime avant toute chose un sentiment positif, salvateur et plein d'espoir, presque vain, voire fou : celui d'un renouveau.

Messiaenique
9
Écrit par

Créée

le 21 sept. 2017

Critique lue 503 fois

3 j'aime

Messiaenique

Écrit par

Critique lue 503 fois

3

D'autres avis sur Decasia

Decasia
Moizi
8

Pellicules !

Decasia c'est le genre de film qui traîne chez moi, dont je ne sais rien et que je "lance" comme ça, sans envie particulière, ne demandant qu'à être séduit. Parce que produire de belles images comme...

le 10 juin 2014

3 j'aime

Decasia
stebbins
9

Les pellicules élémentaires

Decasia, poème malade duquel se dégagent les prodromes de la mort du cinéma argentique, est une oeuvre profondément grisante et authentique. Hommage funèbre à la pellicule, ce film hors-norme de Bill...

le 13 sept. 2018

1 j'aime

Du même critique

Le Chant du styrène
Messiaenique
8

Critique de Le Chant du styrène par Messiaenique

On peut affirmer sans trop s'avancer que le souci esthétique représente une part essentielle dans le domaine de l'œuvre cinématographique. Cadrage et photographie, mise en lumière, tout compte pour...

le 13 juin 2012

21 j'aime

1

La Charrette fantôme
Messiaenique
10

Critique de La Charrette fantôme par Messiaenique

Avec le succès international du film The Artist de Michel Hazanavicius, les cinéphiles espèrent voir un grand nombre de classiques du cinéma muet refaire surface. Dans la bouche de Jean Dujardin on...

le 12 juin 2012

20 j'aime

’77 LIVE (Live)
Messiaenique
10

Critique de ’77 LIVE (Live) par Messiaenique

Ce concert enregistré le 12 mars 1977 à Tachikawa a longtemps été le véritable Graal du record geek, consacrant en deux disques la quintessence du groupe dans une époque où ils atteignirent leur...

le 12 juin 2012

18 j'aime