Déjà auteur remarqué en 2010 avec My Joy, l’ukrainien Sergueï Loznitsa signe un nouveau long-métrage d’une beauté et d’une force époustouflantes. Adapté d’un roman de Vassil Bykov, Dans la brume narre en pleine occupation de la Biélorussie par les nazis la trajectoire tragique et imbriquée de trois pauvres hères, à la fois dépassés et transcendés par l’histoire en train de s’écrire dans le sang des millions de victimes de la Seconde guerre mondiale.
Dès le plan inaugural, dans un village de Biélorussie où a lieu la pendaison de trois saboteurs, on est saisis par sa magnificence, les mouvements lents d’un plan-séquence méticuleux qui installe directement une atmosphère de méfiance et d’oppression qui enveloppera les deux heures à venir. Dans la brume subjugue par sa construction et sa mise en scène. Articulé autour de trois personnages (le traître supposé et les deux soldats mandatés pour l’exécuter), le film recourt également à trois longs flashbacks s’intéressant au passé récent du trio et apportant du coup un autre éclairage. Pris dans les filets d’un conflit qui les dépasse et dont ils sont les victimes expiatoires sans en avoir réellement conscience, les trois hommes doivent se débattre, dans leur propre existence éphémère et miséreuse, avec des questions de morale et de culpabilité. C’est exactement là qu’intervient la mise en scène élégiaque et majestueuse, constituée de longs plans qui semblent suspendre le temps et rendre inutiles et indécentes les paroles. Plus que dans des dialogues réduits à la portion congrue, elles servent aussi aux monologues interrogatifs et perplexes des égarés au milieu d’immenses forêts, décors aussi bien protecteurs qu’anxiogènes. Au pied d’arbres sans âge, cernés de bruits divers et menaçants, le trio tente de s’arranger avec les faits et sa conscience. Celui qui ne veut pas qu’on retienne de lui qu’il aurait pu trahir ira jusqu’à sauver son bourreau. Innocents et rustres, ces hommes sont inévitablement des figures dostoïevskiennes au sens le plus noble du terme dans ce mélange de brutalité et de noblesse. Une histoire éternelle de remords et de rédemption qui confine ici au sublime et touche par moments à la grâce, amplifiée par la splendeur crépusculaire des paysages et tout autant par celle d’une photographie somptueuse, magnifiant la misère crasse de ses personnages. Au cœur des forêts hivernales plongées pareillement dans le brouillard et l’horreur, se joue le destin funeste et grandiose de trois ‘idiots’ en chemin vers la sagesse et la réconciliation.
PatrickBraganti
8
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le 31 janv. 2013

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