Fine, légère et pleine de grâce, elle charme qui la regarde ou saisit au vol les accents mélodieux de sa voix cristalline, mais qu’on ne s’y trompe pas, cette sylphide du septième art n’a rien d’une créature fragile et sans défense !


Danielle Darrieux, ce fut une eau vive, un feu follet, jeune faon bondissant de films en films, qui démarre sa carrière sur les chapeaux de roue, catapultée par hasard dans le milieu du cinéma : 14 ans à peine, profil de médaille et silhouette gracile qu’habite une vigueur insoupçonnée et surtout caractère indomptable d’une jeune fille qui mord l’existence à belles dents, secouant à sa manière le joug étouffant du monde bourgeois des années trente qui l’ont vue grandir.


Petite elfe vive et enjouée, curieuse de tout, rompue aux bonnes manières mais ne suivant que son bon plaisir, Danielle exulte d’abord dans des comédies où sa fraîcheur, sa spontanéité et son impertinence font merveille.
Le monde, qu’elle explore avec gourmandise lui apparaît comme un vaste terrain de jeux et le cinéma la plus formidable expérience qu’il lui soit donnée de vivre.


En 1931, Le Bal, de Wilhem Thiele, qui marque ses débuts à l’écran, révèle une vraie «nature» au tempérament de feu : derrière le sourire charmant de l’adolescente, l’ironie pointe le bout de son nez. L’insoumission se fait gracieuse mais imparable, annonçant ce refus de la compromission qui marquera tous les rôles de cette «Drôle de gosse» pétulante et facétieuse.


Privée de la figure paternelle à l’âge de 7 ans, Danielle ne tarde pas à retrouver un père de substitution en la personne du cinéaste Henri Decoin, qui devient aussi son époux et son pygmalion : ils se marient en 1935, elle a 18 ans, lui 45.
En deux films : J’aime toutes les femmes et Le Domino vert, sortis cette année-là, le mentor amoureux permet à sa pétillante muse d’imposer à l’écran le personnage de fausse ingénue qui la rendra si populaire.


Au fil des rôles toutefois, son talent s’affine, son amour du jeu se confirme, solaire et éclatant, mélange de malice et de force comme dans Mademoiselle ma mère où, dans ce film somme toute, mineur, son énergie est proprement jubilatoire.
Exquise jeune première des années 30, elle séduit et fait rêver hommes et femmes confondus : les rues se peuplent de fausses DD, une star est née !


Féminine et aérienne, chevelure mousseuse et bouche en cœur, Danielle assassine d’un bon mot l’importun, lui décochant dans le même temps le plus délicieux sourire qu’on puisse imaginer.


Mariage réussi de l’eau et du feu, main de fer dans gant de velours, la comédienne, faisant fi de toutes les règles en vigueur dans l’univers corseté des emplois féminins, trace le portrait, quelque peu détonnant à l’époque, d’une nouvelle femme, libre et indépendante, qui tient gracieusement tête et ne cède qu’à son désir.


« Sans mon premier mari, Henri Decoin , je n’aurais été qu’une jolie fille, comme tant d’autres, c’est lui qui m’a encouragée et soutenue dans ce métier que je n’avais jamais vraiment pris au sérieux et je lui en suis infiniment reconnaissante »
répète à l'envi Danielle Darrieux, rendant ainsi un hommage appuyé au cinéaste qui a partagé sa vie cinq ans durant.


Force tranquille et professionnalisme viennent à bout des réticences de la jeune actrice , qui, grâce à lui, ose incarner, l’émotion au bord des lèvres, la baronne Marie Vetsera dans Mayerling : une histoire d’amour tragique revisitée par Anatole Litvak en 1936.


Dans ce mélodrame «à l’esthétique sombre et mortifère», la comédienne de 19 ans, elle, irradie, pure et lumineuse, un rôle vibrant qui lui assure une consécration internationale et un succès mondial au côté de Charles Boyer.


Danielle Darrieux conquiert les Etats Unis qui la réclament : subjugué par ce vif argent, symbole d’élégance française et de modernité, Hollywood ouvre toutes grandes ses portes à DD, «La coqueluche de Paris», comédie que l’actrice tournera sous la direction du réalisateur américain Henry Koster.


Mais comment accepter, quand on est réfractaire à toute forme de contrainte, d’être considérée comme un simple «produit MGM» ? comment s’accomplir en tant que personne quand la moindre critique vous est interdite?


Danielle Darrieux n’a rien d’une poupée qui dit « oui » à seule fin de réussir, personnalité entière, elle s’affirme, tient tête et garde intacts en elle sa capacité de résistance et son refus de la compromission, déterminée et rebelle, toujours, derrière sa grâce virevoltante.


C’est une femme pour qui la vie passe avant tout : follement amoureuse, elle n’hésite pas à ternir, voire briser sa carrière, ainsi qu’elle le prouve en 1942 avec son deuxième mari, Porfirio Rubirosa, séduisant diplomate dominicain accusé d’espionnage par l’Allemagne nazie.


Pour l’heure toutefois Danielle a le mal du pays : l’actrice rompt son contrat avec superbe, le couple regagne la capitale en 1938, et Paris célèbre sa reine de coeur.
Leur séjour outre-Atlantique n’aura duré que sept mois au lieu des sept ans prévus, mais aura permis à Henri Decoin de peaufiner son style et sa technique en étudiant de près le savoir-faire américain.


Et c’est ainsi que le cinéaste passionné offre à sa jeune épouse une comédie de charme débordant de fantaisie, de gags , de rires , de sourires et de dialogues piquants, un « Battement de cœur » délicieux où la mélancolie s’invite par petites touches, avec bonheur : LE morceau de bravoure du réalisateur et l’un des plus jolis films tournés avec Danielle Darrieux, mutine, ô combien, d’une candeur et d’un naturel exquis.


Il faut entendre le réalisateur Paul Vecchiali, de 13 ans seulement son cadet, faire l’éloge, ému comme un collégien par la beauté de celle qui fut son idole, enfant, puis adolescent, il faut l’écouter évoquer ce moment de grâce infinie où la jeune femme, alanguie dans un fauteuil, les jambes nues après le bain, se laisse aller à fredonner de sa voix mélodieuse la chanson du film, Une charade, tandis qu’un jeune Claude Dauphin, en retrait derrière elle, l’observe tout énamouré, d’un air langoureux.


Rythme, émotion, rebondissements, romance et happy end, tout concourt à battre en brèche la morosité ambiante et lors de sa seconde sortie, en février 1940, le film fait un triomphe !
Petit bijou sentimental où comme l’écrit si joliment Jacques Siclier « les jeux du hasard contrarient ceux de l’amour », il marque les esprits et d’abord les cœurs, signant l’apogée de la ravissante ingénue qu’était Danielle Darrieux .


Extraordinaire carrière de huit décennies que celle de l’actrice qui, se plaît à dire Catherine Deneuve, «ne pesait sur rien» : la grâce volatile de son sourire, sa fausse légèreté, annonçaient dans leur sillage une comédienne de caractère, au tempérament fort, portée par une sorte d’élan vital, ce que le scénariste Jacques Fieschi définit par « le DESIR d’ÊTRE »


Il faut avoir vu Danielle bouger, mimer, rire et railler, « cocotte » gouailleuse, tendre et un brin hystérique dans Occupe-toi d’Amélie, comédie satirique brillante d’Autant-Lara, adaptée du vaudeville éponyme de Feydeau.


Des scènes au rythme éclatant où la comédienne, véritable tornade comique, se déchaîne avec un sens du burlesque éblouissant qu’on ne lui connaissait pas, dévoilant, derrière la liberté et l’intelligence du jeu, « la gamine mal élevée » qui n’hésitait pas à tirer la langue à qui la regardait d’un peu trop près.


La comédienne, pour qui le début des années d’après guerre ont été difficiles, verra cette comédie toute de fraîcheur et de gaieté comme « le film de sa résurrection » drainant après lui une foule d’admirateurs reconquis : elle y est irrésistible !


Toutefois il faut bien dire que l’Histoire du cinéma retiendra surtout la décennie1950 où l’actrice réussit l’exploit de se réinventer, passant de la jeune première, qu’elle n’est plus, à une femme plus grave et plus opaque, au travers d’héroïnes rarement sincères, souvent frivoles, qui font du mensonge leur arme de prédilection, ludiques mais dangereuses et souverainement amorales.


Max Ophüls, qui connaît le formidable potentiel de la comédienne, laquelle, malgré des incursions réussies dans le mélodrame, persiste à se méfier des dérives de l’émotion, va libérer le papillon de sa gangue, faisant jaillir le mystère d’un jeu qui s’inscrira à jamais dans la mémoire du cinéma.


Trois joyaux, trois facettes de la femme où Danielle Darrieux nous offre chaque fois sa vérité : la jeune épouse infidèle dans La Ronde, la prostituée en mal de pureté dans Le Plaisir et l’élégante et frivole Madame de…prise au piège de l’amour.


D’une exceptionnelle énergie l’actrice n’a jamais vraiment cessé de tourner, enchaînant aussi les rôles au théâtre jusque dans les années 2010, quelque sept ans avant son décès.


Une artiste qui a su merveilleusement se renouveler au fil des époques qu’elle a traversées, séduisant réalisateurs jeunes et moins jeunes, de Jacques Demy à François Ozon, capable d’incarner l’éternel féminin à tous les âges de la vie, avec peps et une élégante désinvolture qui lui faisait déclarer en 1982 :


« Je suis un instrument, il faut savoir jouer de moi, alors on sait en jouer ou on ne sait pas. »
« Un instrument, oui, rétorquera Demy, mais un Stradivarius »

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le 26 janv. 2022

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Aurea

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