Alors, dogmatique ou pas dogmatique ? Dancer in The Dark a de quoi déstabiliser par les choix radicaux de Lars von Trier, son minimalisme et son refus de la mélioration cinématographique. Les images sont rêches et semblent issues d'un vieux JT des années 80, les cadrages font tout pour être les plus plats possibles… sauf bien sûr quand Selma chante et danse, où sans renier son style, le réalisateur montre alors son savoir-faire dans la composition, le rythme et la sublimation des lieux, des mouvements et des corps. Que ce soit à l'usine ou sur un train, les numéros dansants sont fascinants par le contraste entre le contenu et le contenant.
Ces contradictions stylistiques se font miroir du personnage réservé et complexe de Selma, dont la force morale compense la perte physique. Et si Lars von Trier fait tout son possible pour dé-dramaturgiser son film, il construit cependant une tension insidieuse tellement cinématographique. Au terre-à-terre de l’usine et au sordide des relations humaines, le réalisateur oppose l’amour inconditionnel d’une mère, un amour qu’elle enfouit au plus profond d’elle pour mieux le protéger. Si le film peut se montrer peu subtil et dur, voir un peu grotesque par moment, les émotions qu’il renvoie sont intenses et prennent à la gorge. Björk incarne magnifiquement l’étrangeté, la vulnérabilité et la force de Selma.
On aura appris entretemps que Lars von Trier n’est clairement pas un réal sympa, et que Björk a détesté travailler sur ce film, ce qui ajoute encore aux sentiments contradictoires générés par le film. Parfois difficile à regarder par ses choix formels, le film parvient cependant à fasciner dans une forme d'attraction-répulsion déroutante, ainsi que par la poésie crépusculaire de son histoire.