Voyage dans les peines hongroises...

Premier volet d'une officieuse trilogie qui comprendra également le faramineux Satantango et les sublimes Harmonies Werckmeister Damnation est aussi le tout premier - et non des moindres - chef d'oeuvre du hongrois Bela Tarr. En deux heures de métrage d'une beauté sidérante et obsédante le cinéaste magyar imprime sur sa pellicule Noir et Blanc d'authentiques éclats de Septième Art ; nous suivrons donc à la trace la figure du misérable Karrer, petit monsieur amoureux transi d'une chanteuse aux charmes vénéneux : damné parmi les damnés l'homme à l'imperméable humidifié battra le bitume balayé par une pluie incessante et les chiens errants, écumera les bars afin d'exécuter de curieuses affaires interlopes avec l'un des tenanciers de sa bourgade...


Somptueux, hypnotique et résolument éternel ( au sens littéral du terme, et donc comme "en dehors du temps" ) Damnation déploie ses motifs avec ivresse et sublimation : un rire terrible, fatal, inexorable recouvrant un amas de brocs jalonnant le zinc d'un bouge vaporeux ; des bennes transportant métronomiquement quelques rocailles au diapason d'un Karrer mâchant sa chique en scrutant l'horizon bien bas ; des séquences de danse grisantes jusqu'à l'extase ponctuées des commentaires poétiques d'une femme aguerrie, vouée à la bienveillance la plus simple à l'encontre de notre anti-héros tristement torturé ; une musique au piano étrangement accordé accompagnant des litanies hongroises proches de la rêverie...


Extrêmement bien filmé et composé dans le même mouvement d'évidence plastique Damnation enchaîne les plans-séquence comme autant de moments scellés dans l'inéluctabilité d'un temps proche de la chute des laissés-pour-compte et d'un peuple noyant sa peine dans les limbes de l'alcool et des rudesses diluviennes. Bela Tarr ouvre nos portes de cinéphilie vers d'autres contemplations modernes, à la fois justement réelles dans leur développement rythmique et d'une beauté tour à tour fascinante et désespérée. C'est absolument superbe en plus de réinventer les espaces-temps, preuve que le réalisateur magyar a su faire des émules de son acabit, Gus Van Sant en tête. Une pièce maîtresse à voir et à revoir inlassablement.

stebbins
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le 11 avr. 2022

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