Et soudain je m’aperçois que je manque à tous mes devoirs. Donner son avis sur les derniers blockbusters, c’est très bien. Relever le génie de quelques grands classiques que je n’avais pas encore vu, c’est parfait.
Mais bon dieu, un éclaireur, ça éclaire !
Et pour amener de la clarté, encore faut-il que l’endroit soit sombre.
Mieux, il faut en plus l’objet éclairé soit capable de réfléchir et renvoyer à son tour les projections de la lumière reçue.

Et là, tout de suite, si je vous dit "Cutter’s way" d’Ivan Passer, vous vous dites qu’au moins la première partie du deal est remplie: 5 critiques, 62 notes seulement sur SC, et deux de la part de mes éclaireurs. Chose d’ailleurs totalement exceptionnelle, l’un d’entre eux a même fait preuve de goût et de discernement en la matière (je vous donne un triple indice: il est fâché avec son coiffeur, a été pris de passion subite pour les fonds de pensions qatarien et aime parler de lui, pourquoi pas à la troisième personne).

Pourtant, évoquer ce film est essentiel. Sorti en 1981, il est considéré par beaucoup comme le dernier grand film des années 70.

Ivan Passer est Tchèque, ami de Milos Forman, pour qui il écrira les scénarii des «amours d’une blonde» et «au feu les pompiers». Comme son pote, il quitte son pays suite aux évènements de 68 qui rendirent le jeune Vladimir Poutine fou d’envie.
Quelque mois après, je naissais. Bien qu’il n’y ai aucun rapport entre les deux évènements, il me semblait important de les replacer dans une perspective artistique et historique.

Mais revenons à Ivan. Son premier long métrage au pays de l’oncle Sam, en 1971, allait notamment mettre en scène un des premiers vrais rôles d’un jeune acteur américain à l’avenir en scie à une seule dent: un certain Robert de Niro.
Pas mal pour un début.

Abordons à présent notre sujet du jour.
On ne peut même pas dire que les qualités de ce Cutter’s way soient multiples: il n’y a qu’elles.

Cutter, on s’en doute, est un homme au caractère tranchant. Revenu diminué du Nam (performance hallucinante de John Heard que je ne suis pas arrivé a totalement reconnaitre pendant tout le film… Faut dire que c’est surtout sa main gauche que je maitrise sur le bout des doigts), le type est empli de rage et d’amertume et le fait chèrement payer à son entourage par un alcoolisme aigu et virulent. C’est sa femme Mo qui bien entendu et comme d’habitude morfle le plus (Lisa Eichhorn, parfaite) mais aussi son meilleur pote, Bone, bellâtre dilettante vendeur de bateau (Bridges, incandescent) dont le principal tort est de ne jamais savoir prendre une décision.

Une soir qu’il rentre fatigué d’une soirée amère gaspillée en alcool et en déclarations définitives, Bone assiste à ce qui ne ressemble d’abord pas à grand chose, avant qu’il ne se rende compte qu’il s’agit d’un largage de cadavre en bonne et due forme. Si Bone n’est sûr de rien, son poteau Cutter, à l’âme rétractable, va rapidement savoir à sa place ce qu’il a vu, et ne va pas tarder à agir en conséquence. Après tout, c’est lui qui a toujours pris les décisions, les éternels remords mal digérés de Bone (ne pas être parti au Vietnam, être en pleine possession de ses moyens) ne lui permettant pas de fermement s’opposer à lui.

Faux polar tout à fait magnifique (une des plus grandes qualités du film est qu’on ne sait jamais si leurs convictions sont fondées), buddy-movie exemplaire (puisque constamment traversé de tensions totalement cohérentes), le film constitue un formidable testament d’un nouvel Hollywood devenu parfaitement inaudible à l’aube des années 80. Désormais, ce sont les politiques et les puissances financières qui, coupables ou non, sont les seuls à avoir voix au chapitre.

Seul bémol, deux dernières minutes dispensables que certains ont cependant trouvé magnifique, mais qui ne sauraient en aucun cas gâcher un film au désespoir sordide et impeccable, désespéré et chaleureux comme une amitié condamnée.

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le 5 août 2014

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guyness

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