Sardou Joue le Dur et Stebon le Mauvais

Contrairement à d'autres mastodontes de la chanson variétés française comme Johnny ou Monsieur Eddy, Michel Sardou tournera très peu pour le cinéma. Deux ans après l'obscur et oublié L'Été De Nos Quinze Ans, Phillipe Setbon (scénariste de Les Fauves , Parole de flic et Détective) l'engage pourtant pour son premier long métrage en tant que réalisateur et lui confie un rôle bien casse gueule de flic taciturne à la Dirty Harry.

Cross c'est donc l'histoire d'un flic borderline qui se retrouve au pied du mur lorsque un homme qu'il fait coffré des années auparavant sort de prison et décide prendre en otages sa femme et sa fille avec l'aide de quatre tordus échappés de l'asile. Cross ne trouvera de l'aide qu'en la personne de Eli Cantor un dangereux tueur à gages de passage à Paris dont il avait en charge la surveillance.

Michel Sardou en Dirty Harry vous y croyez vous ?? Et bien vous avez raison de douter et ce n'est pas le film qui vous fera mentir. Le comédien chanteur a beau traverser le film cuir sur le dos, mal rasé en tirant la même gueule inexpressive pendant 90 minutes il n'arrivera jamais a vraiment nous faire croire à son personnage de super flic tellement efficace qu'il a besoin de se coltiner un acolyte psychopathe pour s'occuper de cinq blaireaux. Mais niveau erreur de casting c'est incontestablement Roland Giraud avec qui il partage l'affiche qui décroche le pompon dans le rôle d'un tueur à gages orfèvre en la matière et internationalement reconnu , le genre de mec qui pour se divertir va faire un petit combat de free fight clandestin à coups de lames de rasoir. Roland Giraud en Jason Statham (???), même Philippe Setbon ne semble pas y croire du tout et lorsque l'acteur s'apprête à affronter un gros dur bodybuildé, le réalisateur coupe la lumière bouge sa caméra dans tous les sens pour qu'on n'y voit que dalle et termine sur un plan de Roland Giraud triomphant ayant défoncé son rival sans même avoir pris le temps de nous montrer la moindre esquisse d'un début de bride de mouvement de combat. Si séparés les deux comédiens nous offre déjà des personnages bien gratinés une fois réunis c'est l'apothéose et quintessence de la justesse. Passé quelques répliques plutôt marrante ou par le biais de leurs personnages Roland Giraud semble se foutre de la gueule de la petite taille et la tronche éternellement boudeuse de Sardou, on retombe sur des répliques et des situations de mauvais buddy movie dans lesquels les deux mâles alphas rivalisent de virilité sur le registre du on n'est pas des tarlouses. Dans une grande sobriété d'écriture, Cross (Michel Sardou) va donc emmètre la crainte que son partenaire l'encule et se réjouir qu'un projectile à forme phallique qui vient de lui toucher le ventre ne l'est pas pris par derrière.

Pour ce qui est du film en lui même on ne pourras pas reprocher à Phillipe Setbon de livrer un film aux allures lambda de téléfilm, le réalisateur prend un soin maladroit mais évident à construire ses plans, à chiader se lumières, à tenter des choses pour donner une vraie patte esthétique à son film. Bien sûr tout est loin d'être réussi , c'est même parfois ridiculement maniéré mais la volonté est bel et bien là et par moment le film fait presque illusion comme lorsque les échappées de l'asile poursuivent une victime dans le couloir sombre d'un hôtel désaffecté avec une alternance assez oppressante d'ombres et de lumières. Si tout est loin d'être parfait c'est surtout du côté de son écriture que le film pêche le plus avec ses personnages un peu ridicules ou trop artificielles comme cette bande d'échappés de l'asile qui sont plus horripilants que vraiment dangereux. Cross souffre aussi de son rythme bien trop mou à l'image de la longue traque neurasthénique finale qui prend bien un tiers du film et se résume à un insupportable cache cache entre nos deux héros et les preneurs d'otages dans un immense hôtel à l'abandon. Pour l'anecdote on retiendra tout de même que le film est dédié à Roger Corman (qui n'avait rien demandé) et que l'on aperçoit Sotha en prostituée dans une très courte scène au début du film.

Cross n'est pas très loin du nanar et malgré toute la bonne volonté de Phillipe Setbon la double erreur de casting initiale est globalement fatale au film. Il reste au final un polar maladroit et mou, jamais tout à fait crédible ni palpitant avec de bien trop rares occasion de rire de ce triste ratage.