Den of Thieves, devenu à l’occasion de sa sortie en France Criminal Squad, énième preuve que les employés de sociétés de distribution sont étrangers à la notion de dignité humaine, est un peu notre « cause » du mois, dans le sens où c’est une série B confortable (mais B quand même) que bien des gens mépriseront (surtout si ce sont des gens très-très-très sérieux), mais que nous, non, parce qu’il n’y a pas de genre pauvre, au cinéma, comme en littérature ; que des promesses tenues, et des non tenues. La promesse du film de Christian Gudegast, dont on était parfaitement en droit de ne RIEN attendre étant donné son pedigree (Un Homme à part avec Vin Diesel, l’ignominieux La Chute de Londres…), c’était de réveiller de sa léthargie l’amateur de films de braquages, genre pas vraiment gâté dont le dernier incontournable remonte à 2010, avec The Town. Et pas forcément avec un petit déjeuner de luxe, hein. Juste de le réveiller.
Et il l’a fait. Du moins en bonne partie. Le pain de mie n’est pas de qualité exceptionnelle, mais les confitures sont goûtues, et puis ils servent du jus d’orange avec pulpe. Cessons de blaguer : DoT n'invente pas l'eau chaude. Du tout. Il en oublie même l'existence, à quelques moments. L’influence de l’incontournable Heat, de Michael Mann (1996), est parfois assourdissante, de sa scène d'ouverture, un braquage de fourgon blindé virant sale, à sa réplique « je t'avais dit que je ne retournerais pas en taule » (sic), en passant par quelques menus détails d’un scénario qui ne cherche clairement pas à réinventer le genre ; juste à lui payer un tribut. Oui, DoT ne propose rien de bien différent, mais une fois qu'on l’accepte comme un petit neveu nerveux et postillonnant du film de Michael Mann, vivant dans son ombre sans pour autant être dénué de certains talents, ça marchotte. Après tout, le premier Fast & Furious, film con comme la lune mais somme toute divertissant, ne pouvait qu’être vu comme une variante motorisée de Point Break, et ça ne l’a pas empêché de plaire. Alors donc, mettons ce blocage derrière nous.
Et apprécions les confitures. Pour son premier film, Gudegast a voulu d’un côté bien faire, de l’autre, s’amuser. La première volonté lui jouera des tours, notamment du côté d’un scénario pas à la hauteur de ses ambitions (nous y reviendrons plus bas), mais donnera également, à l’image, un argument plein de punch : deux scènes de fusillades urbaines assez sensationnelles, les meilleures qu'Hollywood nous ait proposé depuis un bail, notamment la dernière, faite de plans serrés oppressants, de progressions stratégiques crédibles, d’un mixage sonore tonitruant (quand ça tire, ça tire), etc. Le cinéaste, bien conscient que tout le monde grillerait la parenté de son film avec Heat, n’avait d’autre choix que de trousser ces scènes du mieux qu’il pouvait, et il s’en sort avec les honneurs, bien que l’on aurait aimé voir un peu plus de casse du côté des flics au final (il s'agit toujours de briser le sortilège du méchant devenant soudain une quiche au tir dès qu'il se retrouve face au héros... ici, des efforts sont faits !).
La seconde volonté, celle de s’amuser, a donné l’argument de vente principal du film : un récit de flics et de voyous où les flics seraient presque aussi borderline que les voyous. Le personnage du chef de la brigade de choc a même une réplique bien explicite du genre de : « Les méchants, c’est NOUS ». C’est un sacré argument : de la même manière que la transgression est importante dans l’art, la frontière entre ces deux types de personnages gagne à être floutée, dans ce genre de films. Suite à une overdose de récits manichéens où les gentils étaient gentils et les méchants, méchants, la fin des années 90 a vu naître une mode des antihéros auxquels n’ont pas échappé les figures d’autorité (l’inspecteur pourri Vic Mackey dans The Shield, l’agent antiterroriste borderline Jack Bauer dans 24…). Le personnage de Nick O’Brien, interprété par Gerard Butler, en est un produit, et c’est là qu’on sent les vingt ans qui séparent DoT de Heat. Non pas qu'il manquait à Heat de flics borderline, ce n’était pas son sujet, mais reconnaissons que l’idée d’en avoir une version ripou n’était pas déplaisante. Le problème est que cette seconde volonté joue elle aussi des tours à Gudegast : au final, DoT aboie beaucoup, mais ne mord jamais vraiment. Les bornes du moralement acceptable ne sont jamais franchies. Ses flics sont politiquement corrects (ce qui est différent de moralement acceptable…), mais ne se comporteront à aucun moment comme des ordures, ou des psychopathes prêts à tout pour choper le gang de braqueurs, dans le sens de gagner et non pas rendre justice (ce qui impliquerait un sens moral). Ils resteront des gentils… aux mauvaises manières. Un spectacle divertissants, mais pas vraiment perturbant.
Pour cette raison, ce n’est pas peu dire que le casting de DoT lui sauve littéralement la mise. Lancé comme une locomotive folle dans son meilleur rôle depuis AU MOINS Machine Gun Preacher en 2010 (qui n'était pas un film très réussi...), Gerard Butler, que l’on avait vu dans la pire posture il y a quelques mois à l’occasion de Geostorm, renaît de ses cendres : il en fait des caisses en « Big Nick », et c’est très, très fun à voir (ce dernier n’est peut-être pas Vic Mackey, mais il en a le bagout). Face à lui, se tient droit dans ses bottes Pablo Schreiber dans le rôle du chef des braqueurs Ray Merrimen : tant de temps a passé depuis la saison 2 de The Wire qu’il était inespéré de le retrouver dans un rôle pareil sur grand écran, mais l’attente en valait la peine. Non pas que Gudegast nous ait concocté un personnage d'une profondeur inoubliable. Encore une fois, son film est bien trop bourrin pour ça. Mais comme la réussite de Nick O’Brien, celle de Merrimen tient énormément à l’investissement physique de son interprète dans la force de l’âge. De fait, la réussite de DoT tient en bonne partie à l’affrontement de ces deux gladiateurs virils de l’arène urbaine, dont chaque confrontation fait de jolies étincelles. En parlant d’arène, Los Angeles la grande est dans le film de Gudegast un personnage à part entière, électrisé par une bande originale particulièrement inspirée – même si, là aussi, très Heat-esque, avec le synthétiseur et tout le tralala.
L’intensité qui se dégage de ce spectacle fait tant bien que mal passer une des plus grosses pilules que DoT nous demande d’avaler, celle de sa durée improbable (2h20 !!), mais elle ne peut pas non plus faire des miracles : Gudegast, cette fois-ci peut-être dépassé par sa principale source d'inspiration, a pondu un film trop long de vingt à trente bonnes minutes. Un laps de temps semblant par instant interminable (formulation certes un peu contradictoire). Interminable quand il se paume en blablas esbroufeurs censés montrer combien les personnages sont trop cools, pour au final rappeler surtout les dialogues tarantiniens un peu ratés de David Ayer (End of Watch) : autant de minutes que le réalisateur a perdues en fétichisation de la testostérone plutôt qu’en hommage au genre L.A. Noire. Interminable quand il se permet une poignée de scènes complètement superflues, comme celle où 50 Cent (qui fait correctement le job) intimide avec ses amis patibulaires le jeune rencard de sa fille chérie. Interminable quand il croit son casse suffisamment chiadé pour justifier d’interminables scènes explicatives, pour un résultat au final pas transcendant (les « plot holes » ne manquant pas), qui larguera certains spectateurs en route. Un laps de temps qui a fait chuter la note de 7 à 6, parce que ce qu’on a vu de réussi n’annule pas magiquement ce qu’on a vu de raté. Plus court et un peu moins certain de ses moyens trompeurs, DoT aurait convaincu bien des détracteurs qui, en l’état, se sont crus malins de critiquer son esprit « B ». C’est ça, le pain de mie dont nous parlions plus haut, qui sape un peu le goût des confitures. Et ce n’est pas un twist de toute fin [spoiler alert !] qui fera non plus des miracles : contrairement à ce que ses défenseurs affirment un peu désespérément, celui de DoT ne lui apporte rétrospectivement pas grand-chose, alors que c’est censé être le principe. On voit où il veut en venir, l’idée n’est pas mauvaise, et le tout se tient, pourquoi pas, mais au bout du compte, ce n'est rien qu'un bon vieux cas de « Et alors ? ». Ce twist a pour seul VRAI mérite de mettre en avant O’Shea Jackson Jr, fils d’Ice Cube (ou disons plutôt son portrait craché...), et accessoirement petit gars à potentiel.
On accueille cependant avec un certain plaisir la nouvelle de la mise en production de DoT 2, prévu pour une sortie l'année prochaine. Le pitch ? Bien qu'il ait fini par avoir Merrimen, « Big Nick » n'apprécie pas trop d'avoir été floué par Donnie (O'Shea Jackson Jr), et part avec son équipe le traquer quelque part en Europe, alors qu'il prépare un braquage forcément/censément virtuose. Pourquoi pas ? Le premier opus mettant autant en avant Pablo Schreiber que Gerard Butler, on se demande si l'absence du premier ne posera pas de problème. Mais parions que ce bon vieux Gerard saura mettre de l'animation.