Crime Story
6.6
Crime Story

Film de Kirk Wong et Jackie Chan (1993)

La citadelle de Kowloon, cette verrue de l'impérialisme

Si j'écris ce petit billet, ce n'est pas tellement pour ce film, nauséabond, manichéen et dynamique au demeurant.
Si j'écris ce petit billet, ce n'est pas tellement pour la vertu de ce policier qui règle aussi bien les conflits sociaux que l'arrestation, flingue au poing, de criminels sous-prolétaires ou haut gradés.


Ce qui m'a amené à voir ce film, c'est une unique chose - historique qui plus est.
Je me suis intéressé à ce qu'était la citadelle de Kowloon qui a, en partie, servi de décors avant sa démolition totale en 1994, avant la rétrocession britannique de Hong Kong à la Chine. Les scènes de démolition deviennent alors des scènes qui marquent vraiment la fin d'une triste époque.


Un truc dément.
En deux, trois mots, Hong Kong appartenait aux britanniques. Toute Hong Kong ? Non.


Une petite citadelle résiste, encore et toujours à l'envahisseur... Lors de la partition conclue entre Chine et Royaume-Uni en 1898, une fois que tout le monde fut bien servi, il restait une petite enclave, aussi grande que deux grands stades de foot. Il était convenu, sans contrat toutefois, que la Chine pouvait y laisser des troupes et la population était alors de 700 habitants.


Et ce fut ainsi jusqu'à la seconde guerre mondiale. Ensuite, la population était de 7000 habitants après la capitulation du Japon. Même détruite pendant la guerre, la citadelle de Kowloon est restée une cité qui n'a cessé d'abriter des habitants car elle échappait à toute juridiction. La citadelle de Kowloon est devenue à ce moment l'eldorado des pirates, des toxicomanes, des escrocs puis de la triade chinoise. Très vite, comme la police britannique ne pouvait pas entrer sur ce territoire sans créer un incident diplomatique, Royaume-Uni, Chine maoïste et autres seigneurs de guerre ont décrété une politique de laisser-faire.


C'est un no man's land qui n'appartient et n'a jamais appartenu à personne. C'était la propriété des gens qui y vivaient et qui y travaillaient dans d'obscures conditions. Tripots, usines clandestines, médecins radiés, restaurateurs de viandes de chien, maisons closes, salons d'opium et de cocaïne étaient les seuls maîtres à bord. La population s'est accrue pour atteindre 35 000 habitants. Sans qu'aucun architecte n'intervienne, l'ensemble ressemblait au début des années 80 à un unique bloc monolithique, parcouru d'un labyrinthe de couloirs, éclairés en permanence par une lumière artificielle.


Contrairement à ce qu'on peut penser, la criminalité était moins élevée dans la citadelle de Kowloon que dans le reste de Hong Kong, alors devenue une ville riche et moderne. C'est surtout par son caractère insalubre que la cité faisait tâche. Alors en 1984, Chine et Royaume-Uni décidèrent d'un plan massif de relogement de 50 000 personnes, soit la densité de plus de 2 millions d'habitants au kilomètre carré. Le plan aura lieu à partir de 1987.... euh... de 1991 (un léger contre-temps).


En 1992, l'évacuation est achevée. C'est à cette période que Crime Story est tourné.


En 1993, la démolition totale laissa la place, après un an de recherches archéologiques, à un espace vert et des jardins zens où trônent encore des vestiges en béton armés.


Cela ressemble à un conte pour tous les petits Manuel Valls en herbe, fan de zones de non droit mais... ce n'en est pas un. Cette histoire est celle d'un contexte économique, sociale et politique capitaliste dont chaque partie, britannique en priorité, avait une part de responsabilité. La citadelle de Kowloon ne fut réhabilitée que grâce à la compensation financière de la Chine en faveur du colon britannique, comme cela a été souvent le cas après une expropriation. Le souci... C'est que la citadelle de Kowloon n'a jamais appartenu à la Chine.
On dit aussi que des milliers d'habitants ont utilisé tous les moyens dont ils disposaient pour empêcher la démolition.


http://sometimesinteresting.files.wordpress.com/2011/06/kowloon-1.jpg


Sur le plan cinématographique, on assiste à de grandes scènes finales dans Crime Story. L'on sait que Chan aime se servir des décors pour se battre et, du coup, c'est un régal pour le jeu d'action. Sur le plan artistique, il n'est pas impossible que l'esthétique de la citadelle ait pu inspirer nombre d'artistes, dessinateurs et réalisateurs, bien après que cette cité ait été engloutie. Sur le plan politique, l'histoire de la citadelle de Kowloon représente à mes yeux une absurdité qui demeure, même au-delà de sa disparition. Le nombre d'absurdité aux frontières de tel ou tel pays, c'est un sujet intarissable. Et si la citadelle de Kowloon n'existe plus, la mémoire persiste chez toutes les personnes qui, comme moi, cherchent à savoir ce qu'il s'est passé pour en arriver à un statu quo de la dégénérescence. Plus globalement, j'observe qu'il n'y a pas d'inéluctabilité des révoltes pour mettre un terme à une situation scandaleuse. J'observe aussi qu'il n'y a pas de fin ni de fond pour la misère. A vrai dire, c'était des banalités que l'on savait déjà. Par contre, le fait de laisser les institutions gérer ses propres inconséquences et résoudre les conflits qui résultent de ses abominations est une injustice qui s'ajoute à l'injustice. Apparemment, elle aussi, est infinie.

Créée

le 17 janv. 2014

Modifiée

le 23 juil. 2014

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Andy Capet

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