Introduction :


Depuis 2015, la saga Rocky s’est vue affublée d’une suite : Creed. Si les trois opus de ce sequel ont su rameuter le public en salle, cette nouvelle saga, suite d’un véritable pan de l’histoire du cinéma s’inscrit bien malheureusement dans une tendance actuelle éminemment nostalgique et schizophrène. Penchons-nous sur cette jeune saga afin de toucher du doigt les problèmes qui font de ce spin-off une proposition on ne peut plus boiteuse.

CREED :


Le premier Creed avait pour but, à la manière du premier Rocky, de nous présenter et de nous attacher à la nouvelle vedette : Adonis Creed, fils illégitime d’Apollo Creed. Mais c’était sans compter le facteur nostalgie qui pousse les producteurs et scénaristes à organiser le grand retour de Rocky Balboa. Ainsi, en l’espace de deux heures, ce premier film a pour mission de présenter le personnage d’Adonis, mais également de poursuivre le parcours de Rocky, nouveau manager du jeune Creed. Le retour du personnage et le bagage qu’il véhicule dans l’esprit du spectateur va ainsi finir par vampiriser le film d’Adonis, prenant bien trop de place dans l’intrigue, la façon dont le fils Creed nous ait présenté, dont sa romance est amenée, la direction dans laquelle le film se dirige, le schéma narratif, tout est fait pour rester bien sagement dans les pas du premier Rocky. De ce fait et parce que le film n’a pas le temps, veut faire trop de choses à la fois, tous les sujets sont traités en surface seulement, la comparaison avec le film d’Avildsen est d’autant plus cruelle que tous les événements du parcours d’Adonis ressemblent à du sous-Rocky, l’exemple le plus parlant étant bien entendu la romance du jeune boxeur avec sa bien-aimée Bianca qui fait décidément pâle figure face à l’histoire de Rocky et Adrian. Résultat, le personnage n’émeut jamais, et ajouté au fait que Michael B. Jordan est de toute évidence un moins bon acteur que Stallone en particulier lorsqu’il s’agit de jouer l’émotion, la comparaison avec Rocky fait sacrément mal. Cela dit, forcé de reconnaître qu’il ne doit guère être aisé pour Jordan et son personnage de rivaliser avec Stallone et son mythique alter ego que le public aime et a pour habitude de suivre passionnément depuis près de quarante ans. Et même s’il on peut reconnaître au scénariste de ne pas avoir succombé à la facilité de faire d’Adonis un loubar déplumé à la Rocky, forcé de constater que cela ne fait que réduire encore un peu plus l'attachement au personnage qui n’a jamais galéré pour réussir dans la vie. Comme bien des films de notre époque, la saga Creed vie sur un héritage, elle n’existe que parce qu’elle se présente comme une suite de Rocky, elle ne vit qu’à travers l'héritage de Rocky, le film, et plus généralement la franchise en arrive à un tel niveau de schizophrénie que ce premier Creed s’apparente davantage à une suite de Rocky Balboa associée à une relecture de Rocky V qu’à un véritable premier opus de saga. Adonis se fait littéralement voler la vedette par Rocky, un comble pour un film qui porte le nom de Creed. Ce paradoxe et cette schizophrénie atteignent d'ailleurs leur paroxysme lors du combat final durant lequel surgissent de nul part les musique cultes de Bill Conti, si le fan de Rocky que je suis à pu tressaillir voir verser une larme devant la puissance de la scène, je ne pouvait que regretter a posteriori l’absence d’un thème aussi fort propre à Adonis. Jusque dans son dénouement, le film va chercher dans l’héritage de Rocky pour faire surgir l’émotion. Cela dit, le réalisateur Ryan Coogler apporte son sens de la mise en scène et de nouvelles chorégraphies de combats qui injectent du sang neuf à une saga qui en avait malgré tout besoin. Le dernier film en date, Rocky Balboa, chef d’oeuvre tardif de la franchise réinvestissait volontiers une imagerie ‘70, Creed marque ainsi la véritable entrée de la saga dans le XXIe siècle pour le meilleur (photographie, chorégraphie des combats…) comme pour le pire (suite de la saga Rocky qui ne parvient jamais à se défaire de son ombre). Si je considère volontiers ce premier Creed comme un bon film, capable de m’émouvoir (bien que cela soit toujours à mettre au crédit du personnage de Rocky) et de me surprendre par l’élégance de sa mise en scène, la beauté de sa photographie ainsi que par la modernisation des scènes de combats, je ne peux en revanche que regretter la présence vampirisante de Rocky qui empêche ce film, ce personnage et cette saga de voler de ses propres ailes.

CREED II :


Trois ans après le succès de Creed, sa suite sobrement et logiquement intitulée Creed II sort dans les salles obscures. Si je regrettait déjà que le premier film ne puisse s’affranchir de l’héritage de la saga Rocky pour se créer une véritable identité, ce n’est certainement pas ce second opus qui va changer la donne, étant donné qu’il constitue tout autant une suite de Creed que du génialement nanardesque Rocky IV. Probablement l’opus le plus caricatural et représentatif dans l'inconscient populaire de ce qu’est la saga de Stallone, ce quatrième Rocky constituait pour la franchise une sorte de pinacle, notre boxeur au grand cœur se battant contre l'adversaire ultime, le terminatoresque soviétique Ivan Drago. A l’image du premier Creed, Creed II emprunte ça et là des éléments de Rocky II, III et bien évidemment IV dans un schéma narratif des plus classiques également emprunté aux films Rocky. Si l’on pouvait interpréter le premier Creed comme une passerelle entre les deux sagas et ainsi attendre du second qu’il impose sa propre personnalité et vole enfin de ses propres ailes, c’est visiblement raté pour cette fois encore, la déférence à la saga d’origine étant on ne peut plus soulignée. Mais parce que "paradoxe" semble être un des termes clé de cette nouvelle saga, ce deuxième Creed fait davantage la part belle au personnage d’Adonis, ce qui constitue assurément un des points forts du film. Enfin le film s’attarde suffisamment sur le personnage pour nous permettre de nous attacher à lui, de partager ses peines et ses blessures. Rocky apparaît ainsi en retrait par rapport au premier film, chose assez incompréhensible compte tenu de la présence de son ennemi de jadis Ivan Drago. Le film aurait pour le coup gagné à mettre en avant Rocky et à approfondir sa relation avec le challenger soviétique. Ainsi, si le film n’est pas dépourvu de bonnes idées, comme celle de faire de Drago un homme ruiné par sa défaite face à Rocky, un homme plein de rancœur ayant fait de son fils (personnage guère mieux approfondi) l'instrument de sa vengeance, forcé de constater que le film ne va guère plus loin. La mise en scène soignée, dynamique et pleine de surprises de Ryan Coogler laisse ici place à celle, plus générique, de Steven Caple Jr. qui marque un retour à des combats plus classiques, davantage conformes à ce que pouvaient nous proposer les films de la saga d’origine. On notera tout de même l'attention toute particulière portée au ressenti des coups infligés par Viktor Drago à Adonis, des impacts que le spectateur ressent dans sa chair, aidé par la prestation étonnante de Michael B. Jordan. On s’étonnera que le film ne succombe pas au fan service facile et racoleur, ce qui est tout à son honneur, bien que le film, pour une fois, aurait mérité davantage de renvois à Rocky IV. On sent ainsi chez ce Creed II une envie de développer le personnage d’Adonis, de clôturer l’arc de Rocky Balboa, le tout sans s’éloigner des chemins balisés de la saga lancée par Avildsen. En somme, une fois de plus, un film indécis, qui semble chercher à s’émanciper de l’ombre de Rocky tout en mettant un point d’honneur à s’y accrocher comme au fil d’Ariane, tel un enfant cherchant à se lancer dans le grand bain sans pour autant vouloir lâcher la main de sa mère.

CREED III :


Ce troisième film marque une rupture de taille dans la saga : la disparition du personnage de Rocky. Si j’aimais à penser que cette décision lourde de sens n’était que la suite logique de Creed II qui mettait déjà volontiers Rocky au second plan afin de permettre à la franchise d’exister pour ce qu’elle est, il n’en est en réalité rien. En effet, la disparition du personnage est moins à mettre au crédit d’un choix scénaristique signifiant et osé qu’à un différent artistique entre Stallone et les producteurs, l’interprète de Rocky désirant faire emprunter à la saga une direction différente de celle choisie par la production. Selon une autre version des fait, ce serait Michael B. Jordan lui-même qui serait à l'origine de la disparition de Stallone et Rocky, trouvant le personnage bien trop envahissant dans une saga centrée sur Creed. La situation du personnage est de ce fait plus qu’évasive dans le film, étant seulement cité une fois par Adonis. Est-il mort ? Parti en vacances chez son fils afin de profiter de sa famille, ce qui serait raccord avec la fin de l’opus précédent ? Le film, par pure indécision, ne tranche pas. Passé l'incompréhension de circonstance, pourquoi ne pas se réjouir ? En effet, l’absence de Rocky pourrait enfin offrir à la saga Creed l’opportunité de voler de ses propres ailes, en se débarrassant une bonne fois pour toute de l’influence de la saga d’origine. Mais c’est justement l’absence de ce personnage clé qui va révéler la pauvreté et le cruel manque de ressources de la franchise. Si l’idée du retour de cet ami d’enfance désirant vivre la vie qu’Adonis a vécue à sa place n’est pas mauvaise en soit, il me semble bien triste que la saga, qui n’en est pourtant qu’à ses débuts (si l’on compare à la longévité de la saga Rocky) soit contrainte de faire intervenir un élément extérieur à ce que l’on connaît déjà du personnage d’Adonis pour justifier l'existence de ce Creed III. A titre de comparaison, Rocky III (auquel ce troisième film emprunte beaucoup, le propos de fond en moins) constituait la suite logique des deux premiers films, il en va de même en ce qui concerne l’évolution du personnage éponyme. Creed III semble ainsi complètement déconnecté des deux précédents, ajoutez à cela une intrigue en pilotage automatique, dépourvue d’émotion (sur ce point l’absence de Rocky se fait cruellement ressentir), une relation potentiellement intéressante entre Adonis et sa fille muette qui ne sera jamais traitée en profondeur, une rivalité Adonis/Damian qui aurait été bien venue si elle avait permis au jeune Creed de se remettre en question, de se mettre, pour une fois, à l’introspection, mais voilà, parce que rien ne doit entacher l’image du héros, la victime : Damian, devient le grand méchant de l’histoire pour une morale plus que douteuse. Ce troisième film souffre également à mon sens du choix de Creed II de faire revenir Ivan Drago et son fils, en effet, à l’issue du second opus de sa saga, Adonis a déjà affronter son adversaire le plus redoutable, à titre de comparaison, Stallone n’a fait intervenir Drago qu’au bout du quatrième film, et une fois ce combat quasi homérique remporté, Sly, conscient que Rocky ne pourrait plus jamais affronter adversaire plus emblématique, a fait prendre à la saga une toute autre direction. Mais voilà, parce que Creed vit sur l’héritage de Rocky, parce que, nostalgie oblige, l’idée d’organiser le retour de l’antagoniste le plus iconique de la saga d’origine était alléchante, producteurs et scénaristes (Stallone compris) ont ainsi foncés tête baissée, sans se poser la question de l’avenir de la saga. De ce fait, Creed II condamne Creed III et toutes ses suites à mettre en scène des affrontements mineurs pour un Adonis qui, dès son second film, à déjà affronté son pire adversaire. Selon moi, c’est pour cette raison que Stallone s’est vu contraint de quitter le navire, cherchant probablement à faire prendre un virage à la saga comme il avait pu le faire après Rocky IV. Si tout cela constitue pour ma part la raison de l’échec artistique de Creed III, la véritable cause de l’échec de la saga Creed est ailleurs. Si la saga Rocky a fait tant d’émuls, si elle nous pousse à nous surpasser, si on l’aime de façon inconditionnelle, c’est avant tout parce qu’elle est inspirée de la vraie vie de Sylvester Stallone. En effet, chaque film de la saga fait échos à la situation (dans sa vie comme dans sa carrière) dans laquelle se trouvait Sly au moment où il écrivait les scénarios, ainsi : Rocky raconte sa vie de galère avant de percer à Hollywood, Rocky II raconte la consécration en temps que star hollywoodienne, avec Rocky III Stallone se penche sur sa nouvelle vie, son embourgeoisement et s’interroge sur la manière dont cela pourrait le détruire, Rocky IV représente le sommet de la carrière et de l’ego de Stallone, Rocky V marque l’époque des premiers gros échecs et le début sa déchéance et Rocky Balboa raconte comment Sly dont la carrière fait désormais du hors-piste compte prouver au monde et à lui-même qu’il est capable de revenir sur le devant de la scène. Rocky est une saga incarnée par un acteur, scénariste et réalisateur qui y a insufflé ses propres expériences de vie pour en extraire des thématiques universelles et des leçons de vie à nul autre pareil. Si la saga Rocky est aussi ancrée dans l’imaginaire collectif, si elle est aussi populaire c’est pour son authenticité, sa sincérité et bien sûr son personnage, probablement le plus incroyable et en même temps le plus simple et humain que le cinéma ait créé. A contrario, la saga Creed n’est motivée par rien de tel, le premier n’a pas été écrit par un acteur en galère cherchant à s’en sortir, mais par des producteurs cherchant à capitaliser sur le succès d’une saga populaire. La franchise Creed ne possède pas de véritable ligne directrice, une suite n’est pas pensée dans le but de faire évoluer le personnage ou mettre en avant des thématiques dans lesquelles le spectateur pourra se reconnaître, mais comme un produit supplémentaire visant à tenir en vie la poule aux œufs d’or. De ce fait, les motivations d’Adonis et les thèmes soulevés par les films Creed ne vont jamais bien loin : dans Creed, Adonis cherchait à "prouver qu’il n’était pas une erreur", propos qui tient davantage lieu de prétexte tant ce sujet n’est jamais mis en avant et n’est même explicité qu’au moment du combat final. Avec Creed II, Adonis cherchait simplement à venger la mort de son père, quand à Creed III, toute introspection du personnage principal est éludée au profit d’une morale douteuse. Vous l’aurez compris, aucune thématique de Creed n’arrive ne serait-ce qu’à la cheville du propos de fond d’un seul des films Rocky (hormis peut-être Rocky IV). Ironie du sort c’est bien le personnage de Rocky qui concentre les thématiques les plus captivantes : transmettre son savoir et lutte contre le cancer dans Creed, savoir renouer avec sa famille dans Creed II… Bref, des thèmes universels qui s’inscrivent dans la continuité de la saga Rocky.

Conclusion :


Le péché originel de Creed aura finalement été de ne pas avoir laissé suffisamment de place au développement du personnage d’Adonis, d'avoir joué la carte de la nostalgie en cherchant à écrire la suite de l'odyssée de Rocky Balboa. Ainsi, malgré ses indiscutables qualités le film portait déjà en lui l’échec de sa saga, un échec que confirme de la plus cruelle des manières la sortie de Creed III. Du Rocky sans le cœur, voilà ce qu’est en réalité Creed, une saga sans motivation, sans âme, sans but, portée par un personnage lisse et inintéressant, enfilant tel les perles d’un collier des films commerciaux capitalisant sur la nostalgie, repompant allègrement les mécanismes des films d’origine sans en capter la substantifique moëlle. C’est finalement cet entre-deux qui signait dès le premier film l’échec d’une franchise qui ne semble déjà plus rien avoir à dire. A l'heure où j'écris ces lignes, le réalisateur de Creed III, Michael B. Jordan, à déjà annoncé la mise en chantier de Creed IV et laissé entendre son désir de créer un Creed-universe. Ainsi, hormis un miraculeux retour de Stallone au scénario, devant ou encore mieux derrière la caméra, ce qui ne risque pas d'arriver, la franchise semble vouée à se marveliser, ce qui ne l'empêchera pas, à terme, de disparaître à jamais dans l’ombre titanesque de la saga Rocky, pierre inamovible de l'histoire du cinéma.

Antonin-L
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le 25 avr. 2023

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