Creed III
5.9
Creed III

Film de Michael B. Jordan (2023)

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Je vais le dire d'emblée et très clairement : au mieux, un film mal branlé ; au pire, une caricature de la série des Rocky et des Creed, confinant au grotesque.

Tous les films de la franchise ne sont certes pas des chefs-d'œuvre, loin de là. Rocky V par exemple, toute révérence gardée à Stallone, est indéfendable, raté au dernier degré.

S'il ne détenait donc pas LA recette, Stallone, avec les deux premiers Creed, était cependant parvenu à créer un reboot de qualité, plus émouvant sans doute que tous les Rocky réunis. Plus touchant.

À les revoir avant de découvrir ce troisième Creed, pour se remettre dans l'ambiance, on découvre combien la notion de "contraste" peut s'avérer cruelle.

Aujourd'hui Stallone, donc, n'est plus aux manettes, et Michael B. Jordan prend la relève.

Ce n'est pas dénué de courage.

Il n'est pas des plus facile pour un réalisateur de se mettre en scène soi-même.

Certainement encore moins pour un réalisateur balbutiant, poussin tout juste sorti de sa coquille.

Faire du neuf avec du vieux n'a rien d'évident. Mais pourquoi s'acharner, quand le gâchis est si éclatant ? personne n'a eu l'honnêteté de dire à Jordan que sa copie relevait du nanard ?

On peut toujours rêver.

Machine à cash : si le film n'a pas d'âme, l'argent, on le sait bien, n'a pas d'odeur.

Sortir un film médiocre compte-t-il vraiment, si les objectifs financiers sont remplis ?

***

Un mot de l'originalité du film.

Comme Rocky dans le troisième opus de sa série, Creed s'est embourgeoisé et quelque peu ramolli ; comme le Rocky cinquième du nom, sa carrière est terminée, mais il finira par remonter sur le ring.

Avec dans les deux cas, des blessures qui rendent paraît-il impossible un tel come back.

Mais qu'est-ce que des blessures insurmontables pour qui s'entraîne de cette façon enragée qu'on connaît depuis huit films déjà ?

Peccadilles.

(Du reste, ladite scène d'entraînement, passage obligé dans la franchise, mal montée, expédiée comme le reste à la truelle de maçon, est surtout terriblement moche et bête : on y voit Adonis, mors entre les dents, traîner derrière lui un avion de tourisme, ça situe le niveau.)

***

Revenir sur l'enfance heurtée de Creed, de foyers en commissariats, est une excellente idée de départ : le premier film nous en a touché mot, mais Adonis n'en parle absolument jamais, et jamais rien de plus ne nous en a été dit.

Le principal antagoniste de Creed dans le film, "Diamond" Damian, dit "Dam", incarne le retour du refoulé, cette enfance de petits caïds qui se limite à une scène primitive fondatrice où se dessine l'avenir promis à chacun d'eux. Pas mal vu.

Damian est aussi l'ami qui, contrairement à lui, a plongé : culpabilité d'Adonis, qui sait bien qu'il a pris pour deux.

Damian revient avec l'idée de rectifier le tir et, pour vivre la vie qu'il n'a pas connue, devient la nemesis de Creed. Son but se dévoile assez rapidement : vivre la vie de Creed, à sa place.

Damian ? le type qui défie le champion du monde en titre après dix-huit années de prison ?

Et qui gagne ?

Naturellement, ledit Felix Chavez — qui disparaîtra complètement une fois son rôle accompli — ne sait pas faire de boxe : le type qui a passé près de vingt ans en cabane le démolit avec une main dans le dos.

Je ne saurais dévoiler dans les détails les — moultes — autres incohérences du scénario, mais il me semble possible de décrire à grands traits la nature du ratage.

***

D'abord, l'absence totale de psychologie des personnages.

Exemple tout à fait central : comme dit précédemment, Stallone a été plus ou moins mis à l'écart par la production — plutôt plus que moins, d'ailleurs. Conséquence : l'idée même que Rocky ait pu jouer le moindre rôle dans la vie de Creed est totalement passée à l'as. On peut en déduire qu'il est probablement mort : une idée qui aurait valu son pesant d'émotion. Mais ne soyons pas rosse : Jordan n'a certainement pas eu le droit d'exploiter le personnage de Rocky.

Les rapports de Creed et Damian sont au mieux, embarrassants, amis, ennemis, proches, violents, comme ceux de deux frères séparés par la vie : à vrai dire on n'y comprend rien, ça change sans cesse, eux-mêmes ont l'air de s'y paumer.

Du reste, le fait que Jonathan Majors-Damian joue comme un pied de marmite en fonte n'aide pas. Avec sa propension à passer du camarade affectueux au tueur à tête de bulldog, ce personnage est tout en incohérence.

L'arrêt de la boxe par Creed ne semble pas avoir eu de conséquence sur son caractère — ni sur son corps d'ailleurs : il ne nous est pas dit s'il s'entraîne encore, ce qui est à tout le moins indiqué pour qu'un athlète garde, comme lui, la silhouette qu'il avait en carrière.

Seul l'argent, dont il est apparemment pété, pourrait avoir changé son caractère.

Eh bien non, raté, le bel Adonis est resté le même.

On frôle l'autoportrait flatteur.

Tout à cet exercice d'auto-admiration, Jordan ne sait pas du tout quoi faire du personnage de Bianca, laquelle ne sait clairement pas ce qu'elle fout là, bien trop embarrassée par ce micmac pour y trouver sa place.

***

Autre élément à charge : le caractère parfaitement linéaire du scénario, qui ne serait pas un inconvénient — après tout, ne pas s'égarer c'est important — si le résultat n'était pas totalement téléphoné.

La maman d'Adonis qui-avait-refusé-d'emménager-chez-lui malgré son AVC fera, au moment opportun, le nouvel AVC qu'on attend depuis le début : Adonis, qui commence à être tout colère, qui s'engueule avec Bianca devant la gamine, change du tout au tout avec le décès de (belle-) maman dont on comprend qu'il n'a pour but scénaristique que de rétablir le dialogue entre eux, et d'orienter le film vers sa fin. En somme, la crise du couple semble avoir été écrite par un enfant de douze ans. L'émouvante et belle relation des personnages, tourtereaux des deux premiers films, est victime d'une balle perdue. Le coupable court toujours.

L'inévitable retour sur le ring de Creed est amené avec des poulies de chantier ; pour autant, le caractère torché de la chose est digne d'être montré dans les écoles de cinéma, comme exemple de ce qu'il ne faut pas faire.

Dans les vingt dernières minutes de la fin d'un film de deux heures, on verra donc à la fois Creed retrouver son ancien niveau, via l'entraînement acharné fait à toute blinde mentionné plus haut, ET combattre avec "Diamond" Damian.

Enfin, l'abattre.

***

Sur le plan esthétique, les combats m'ont surtout paru excessivement mal filmés — ce qui détonne, après huit films où leur traitement comportait, disons, une certaine homogénéité.

Il est tout à fait défendable de vouloir rompre avec cette "tradition".

Mais à l'arrivée, le spectacle de combats dignes d'un jeu vidéo m'a paru plus embarrassant que novateur. C'est manifestement voulu comme, de toute évidence, le fait que Creed semble remonter sur le ring après un game over.

Le combat avec Diamond "Nemesis" Damian, ça doit être le boss de fin.

***

Je lis que la boxe est désormais moins populaire que le MMA, et que les coups bas de Damian illustrent la lutte entre ces deux sports de combat : je n'en sais rien.

En tout cas sur un ring de boxe, lesdits coups bas devraient plutôt mener à la disqualification qu'au titre de champion du monde.

Faites donc un film sur le MMA.

***

Enfin, à partir du moment où l'on admet que tout cela relève du Grand-Guignol, tous ces arguments tombent. À certains moments dans la salle, lors des combats, les spectateurs ont brutalement éclaté de rire : Gnafron ! Guignol ! Le divertissement avant tout.

Ah oui, Creed, terrassé de coups qui auraient fait couler un porte-avions, balance une patate à Damian et puis hop, gagne.

Hmmm, oui oui oui.

Au moment final de ce combat où — spoil — le gentil gagne, des applaudissements spontanés sont venus saluer la fin du spectacle de marionnettes.

Derniers spoils, pour la route :

À un moment donné du match Damian-Creed, les deux parviennent à se donner un uppercut EN MÊME TEMPS. Comment décrire cela ? Ils accusent le coup chacun de son côté : c'est comme si deux ailes de papillon, de part et d'autre de l'écran, crachaient tous les liquides du monde. C'est relativement esthétique. C'est aussi, disons ça poliment, complètement débile.

Autre exemple de mise en scène : dans ce combat, à un moment, les deux comparses sont seuls au monde, comme enfermés derrière des barreaux, métaphore un peu poussive de l'histoire de Damian. On en pense ce qu'on veut. Moi, je dis bof.

***

Bon, je ne vais pas faire trop long, on dira que je cherche tous les prétextes possibles pour flinguer le film.

Il y parvient parfaitement tout seul.

Mathieu-Erre
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le 11 juin 2023

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