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5.4
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Film de Charlie McDowell (2022)

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Pas vraiment remarquable, mais pas non plus malhonnête, un petit thriller en huis-clos qui cherche d’abord à amuser puis à résonner socialement autour de trois personnages réduits à leur plus simple expression : un milliardaire, sa femme et celui qui les prend en otage, un “nobody”.


Le film commence d’abord comme une comédie noire qui joue sur le décalage entre la situation (une séquestration) et le fait qu’elle soit prise en main par quelqu’un loin de la maîtriser. On se retrouve donc avec des moments amusants où les victimes, soucieuses que tout se passe pour le mieux, aident volontiers dans sa prise d’otage celui qui les menace, qui s’en trouve bien embarrassé.


Que ce soit la difficulté d’attacher quelqu’un ou la question de savoir quelle somme on peut raisonnablement exiger, ou de manière plus générale le caractère largement improvisé de la situation, le film déroule un humour noir et en sourdine qui, je trouve, fonctionne plutôt bien dans cette première partie simple, modeste, avec une unique action tournant autour de trois personnages et en un seul lieu.


La mise en scène est aussi sèche que les paysages arides dans lesquels se tient la maison de luxe, l’unique décor du film, préférant laisser la place, à travers des plans plutôt longs et larges, aux acteurs, aux situations et aux dialogues. On n’est pas si loin d’un dispositif théâtral, mais il y a quand même un travail du découpage qui met en valeur les temps morts et les moments gênants pour souligner la dimension pathétique de l’affaire, tout en laissant toujours place à l’espace privilégié dans lequel se tient l’action.


Ce qui fait sens, car plus le film avance, plus l’humour laisse place à la tension au fur et à mesure que l’on comprend qu’un conflit social sous-tend cette séquestration. Une prise de conscience qui fait se comporter le milliardaire de plus en plus comme un trou du cul. Un comportement qui lui-même accentue des tensions sous-jaccentes entre lui et sa femme.


C’est une mécanique bien huilée, qui fait glisser en douceur le ton du film vers quelque chose de plus sérieux et de plus tragique, tout en relevant les enjeux et les conflits entre chaque individu. Il s’agit alors de rendre plus ambiguës, moins évidentes, les allégeances entre ces trois personnages, qui d’un côté veulent tous s’en sortir indemne et de l’autre portent tous leur propre bagage et leurs propres griefs.


Encore une fois, cette complication de la tension et du ton se fait sans trop d’accrocs et contribue à maintenir le film engageant, mais d’un point de vue plus thématique, ça reste quelques grosses couches abstraites apposées sur la situation de départ. Pas étonnant pour un film qui ne nomme même pas ses personnages, mais cette patine sociale n’est que ça, un vernis qui désigne le patron comme le riche, le criminel comme le pauvre, et la femme, ancienne assistante, comme le point de jonction entre les deux, celle qui s’est laissée corrompre par un avenir meilleur.


Le film n’a pas grand chose à dire sur cette dynamique, au-delà de quelques monologues grossiers de la part du milliardaire pour laisser exploser la violence d’un ordre social qu’il cherche à justifier. Heureusement, ils sont portés par le meilleur acteur du trio, Jesse Plemons, qui charge son personnage d’un côté repoussant et auto-satisfait très convaincant et plutôt tridimensionnel, malgré le fait qu’il incarne un stéréotype.


À côté, on a un Jason Segel minimaliste, ce qui se justifie par un personnage qui doit en dévoiler le moins possible et un film qui veut laisser ses motivations et son passé ambigu. Il fonctionne bien dans ce régime, laissant s’exprimer sa grande silhouette dépressive et maladroite qui lui a si bien réussi dans ses comédies, et qui ici encore se révèle être un atout tragi-comique, surtout dans la première partie. Mais évidemment, c’est une partition beaucoup plus discrète et ingrate que Plemons.


Et enfin, Lily Collins doit se dépêtrer avec le personnage le moins bien écrit. Le côté privilégié et propre sur elle que l’actrice travaille depuis Emily in Paris complique le personnage, et aide à ce qu’on ne se rallie pas directement à sa position d’otage au début du film. Mais ça fait aussi qu’on ne peut pas non plus totalement se ranger de son côté quand une dimension tragique, bien plus profonde que celle de pauvre petite fille riche, commence à émerger d’elle. C’est d’ailleurs un peu admis par le film, via un “I don’t care” bien senti lancé par le preneur d’otages. Mais comme elle est quand même le personnage dont l’évolution finit par être le focus du film (et sa conclusion), je ne suis pas totalement convaincu par ce recadrage un peu illégitime. Parfois, le personnage le plus trouble n’est pas le plus intéressant. Le plus désespéré peut l’être davantage.


Pour conclure, le film gagne et trébuche par modestie, car toute la dimension thriller et l’humour noir qui s’en dégage bénéficient du fait d’être réduits à leur plus simple expression, mais d’un autre côté, toute la dimension sociale du film paraît un peu creuse faute d’être vraiment incarnée. Mais ça reste très regardable, si ce n’est bien mémorable.

ClémentLepape
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le 23 mars 2022

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Clément Lepape

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