Premier succès commercial de Walerian Borowczyk en France, Contes immoraux marqua une étape notable dans la filmographie du réalisateur de Goto, l'île d'amour. Sur une idée d'Anatole Dauman, producteur de son premier court métrage français (Les Astronautes) en 1959, celui-ci lui proposa de profiter de l'assouplissement de la censure cinématographique, qui précéda l'élection giscardienne, en mettant en scène son premier long métrage explicitement érotique. Film constitué d'une série de courts métrages ayant le sexe comme sujet central, et inspiré sans nul doute par le succès de la « trilogie de la vie » de Pier Paolo Pasolini, Contes immoraux est à considérer avant tout comme le prolongement naturel des thématiques du réalisateur. Débutant par l'une des Maximes de La Rochefoucauld : "L'amour, tout agréable qu'il est, plaît encore plus par les manières dont il se montre que par lui-même", ce film à sketches avait donc vocation à explorer le sexe sous ses aspects les plus subversifs : l'initiation à la fellation d'une jeune cousine, la découverte des plaisirs solitaires d'une jeune fille dévote, le lesbianisme sanglant de la Comtesse Bathory et enfin les relations incestueuses des Borgia (la zoophilie ayant été finalement retirée de la carte des réjouissances, mais n'allons pas trop vite).


Adaptation de « La marée », d'après le récit homonyme écrit par André Pieyre de Mandiargues dans son recueil Les mascarets, ce premier conte s'ouvre par la citation « Julie, ma cousine, avait seize ans, j'en avais vingt, et cette petite différence d'âge la rendait docile à mes commandements. », ou l'histoire d'André (Fabrice Luchini), qui sous couvert d'expliquer à sa cousine de quatre ans (Lise Danvers) sa cadette le mécanisme des marées, l'initie à l'art de la fellation au rythme de la marée montante sur une plage de Normandie. Premier volet d'un catalogue d'une sexualité transgressive, « La marée » se démarque en premier lieu par le thème récurrent de l'enfermement. Prise au piège par la mer, Julie n'a qu'une seule issue, celle de s'abandonner à la sexualité et savourer le plaisir que lui offre son cousin faussement autoritaire. Une soumission libératrice en quelque sorte.


S'ouvrant par la mention : « 10 juillet 1890. Les habitants de notre région demandent la béatification de Thérèse H., la pieuse jeune fille violée par un vagabond. La Gazette du Dimanche. », « Thérèse philosophe » conte l'histoire d'une jeune fille (Charlotte Alexandra, que l'on retrouvera deux ans plus tard dans le premier long métrage de Catherine Breillat, Une vraie jeune fille) punie par sa tante pour être rentrée trop tard de la messe, et dont la sanction est d'être enfermée trois jours et trois nuits dans un débarras. En proie à une dévotion extatique par sa lecture du Chemin de croix et le dialogue fantasmé qu'elle échange avec Jésus, la jeune Thérèse découvre, inséré dans une roue en bois, un roman pornographique aux illustrations suggestives qui éveilleront sa conscience onaniste, les deux concombres en guise de repas frugal faisant les frais de sa nouvelle conversion. D'une réclusion catalyseur de pulsions sexuelles réprimées, au transfert d'une foi adolescente à la béatitude exacerbée vers des plaisirs solitaires interdits à la vue d'images évocatrices, ce deuxième conte démontre autant le goût de Walerian Borowczyk pour les objets et le fétichisme qui lui est associé, que son irrévérence envers la religion. En d'autres termes, les élans sexuels refoulés de Thérèse ne sauraient être canalisés davantage par sa foi, comme pouvait le témoigner ses caresses sensuelles prodiguées aux tuyaux de l'orgue de l'église, avant d'adresser en plein orgasme un "Je viens vers toi [...]. Mon cœur est prêt." à son amour fantasmatique.


Le volet « Erzsébet Báthory » présente « En 1610, la comtesse [...], accompagnée de son page, visite les villages et hameaux de son comtat de Nyitra en Hongrie ». Chapitre le plus saisissant et ambitieux par son esthétique, ce troisième conte immoral est également celui qui consacre le mieux le voyeurisme assumé de son auteur et des protagonistes. Choisies par la comtesse (Paloma Picasso) pour satisfaire, dans un premier temps, son appétit sexuel sous couvert de leur donner sa protection, les jeunes paysannes sont conduites au château afin d'être préparées, lavées et prêtes à s'offrir à leur maîtresse, après avoir ingurgité une mystérieuse potion. Du sinistre destin de ces jeunes vierges sacrifiées à la représentation prédatoire d'Erzsébet Báthory, Walerian Borowczyk livre ici un essai troublant et onirique à l'image de la prestation de la mutique Paloma Picasso. Les espaces confinés chers à l'auteur de Goto, l'île d'amour prennent désormais la forme de couloirs labyrinthiques menant à des espaces concentrationnaires. Le sexe comme seul échappatoire à cet enfermement ne propose plus qu'une seule issue, fatale, une chambre où seront conviés Éros et Thanatos, avant qu'Erzsébet ne soit arrêtée, trahie par son page Istvan (Pascale Christophe).


« En 1498, Lucrezia Borgia (Florence Bellamy), accompagnée de son mari Giovanni Sforza, rend visite à son père, le pape Alexandre VI (Jacopo Berinizi), et à son frère, le cardinal Cesare Borgia (Lorenzo Berinizi). Le dominicain Hyeronimo Savonarola dénonce la vie dissolue du milieu ecclésiastique ». Dernier conte, « Lucrezia Borgia » est du fait de son sujet le plus satirique en prenant le parti d'évoquer cette sombre page de l'Église catholique. Usant du même procédé que cité précédemment, des protagonistes placés, dans une unique pièce, confrontés à un élément déclencheur, cette fois-ci des dessins d'étalon en érection (annonçant en guise de fil conducteur le début de La Bête), Walerian Borowczyk répète à l'envie la thématique principale de ses Contes immoraux. De la résolution de l'impuissance du mari de Lucrezia par son dénouement incestueux, se concluant par le baptême de cette union impie, ce dernier récit paie donc son plus « juste » tribut à l'immoralité promise (paradoxalement il s'agit aussi de l'épisode le plus faible).


En explorant à sa manière le thème de la sexualité sous toutes ses formes, Walerian Borowczyk réalisa avec ses Contes immoraux une fantaisie érotique subversive sans renier cependant l'essence même de son art. Fétichiste avec cette succession d'images révélatrices (bougies, seins, pubis, bijoux, etc.), transgressif par ces récits, les quatre courts métrages s'inscrivent également dans l'œuvre Borowczykienne par leur esthétique, en particulier le soin obsessionnel de son réalisateur pour ses cadrages composés de plans larges pour les décors, de plans moyens pour l'action et de gros plans pour les détails, par la photographie des quatre chef opérateurs réquisitionnés ou encore par ses personnages manipulés par leurs pulsions.


A l'origine constitué d'un cinquième conte intitulé « La Bête du Gévaudan », placé entre « Thérèse philosophe » et « Erzsébet Báthory », la version longue du film reçut en 1974 le prix de l'Âge d'Or décerné par La Cinémathèque royale de Belgique et le musée du cinéma de Bruxelles, prix récompensant l'auteur d'un long métrage qui « par l'originalité, la singularité de son propos et de son écriture, s'écarte délibérément des conformismes cinématographiques ». L'histoire aura retenu que ce cinquième segment abandonné pour l'exploitation en salle des Contes fut réemployé en grande partie par Walerian Borowczyk l'année suivante pour son film La Bête.


http://www.therockyhorrorcriticshow.com/2017/02/contes-immoraux-walerian-borowczyk-1974.html

Claire-Magenta
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le 2 juin 2017

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