Après quatre années malheureuses de la voie médiocre du lycée professionnel, j'enfourchais mon vélo bleu de marque Peugeot le mors aux dents et les quignons de pain blanc dans ma besace, pour filer tout droit vers ma « vraie vie » et l'université de Lettres de Nantes. Celle-ci allait, dans le désordre, me voir perdre ma virginité, lire des livres, dormir au cinéma, accéder à l'indépendance, rencontrer l'Amour, le perdre, le retrouver, créer une revue, solder les comptes d'avec mon père...

J'eus passé du temps à essuyer les bancs de la fac, plus que de raison. En effet, quatre années, au lieu de deux, pour un D.E.U.G.. Mon parcours scolaire chaotique, mon manque évident de culture, ma condition sociale, me faisaient longer les murs, tout au moins durant ma première première année. Je passais, aussi, de longues heures, sur les marches de la Censive ou dans les couloirs du Tertre, à fumer des gallos autour de café dans des gobelets de plastique. De toute évidence, malgré les soins que je mettais en oeuvre pour me cacher, l'anonymat n'était pas de rigueur pour un garçon en faculté de Lettres. Nous étions 10 à peine pour 300 filles passées. Il suffisait de se baisser pour cueillir les fleurs, mais n'en déflorais aucune et réservais mon pucelage — à ce moment-là je ne le savais pas encore — à cette fille au pantalon rouge et aux crolles baignées de larmes devant le relevé de notes de ses partiels.
Le 1 quai de Tourville, mon Xanadu, n'était pas le seul endroit où je traînais mes guêtres, je partageais aussi mon temps entre les 21 et 22 rues Racine. Pour une place à 10 francs, je séchais les cours, parfois, enquillais, souvent, les journées de cinq séances.
Ça embaumait le parfum des pieds, de la sueur, du pop-corn et des confiseries Haribo. Il m'arrivait de m'assoupir dans la douceur des strapontins aux accoudoirs défoncés et transpercés de ressorts. C'est ainsi que ma liberté et l'argent des bourses portaient l'autre nom de « Le cinéma Apollo », assurément mon Rosebud.
J'aimais, après ces journées, marcher dans la nuit à la lumière des belles images des pellicules 35 millimètres. J'étais libre et ivre de films. J'ai refais mille fois ce chemin dans les rues de Nantes : emprunter la rue Gaston Turpin derrière le Jardin des Plantes, passer devant la cathédrale, le magasin Decré, enjamber le limon de l'Erdre sous le cours des 50 otages bétonné, manquer me rétamer sur les pavés de la place Royale et ceux de la place Graslin.

Quand je quittais la ville qui m'a vu naître, un matin de septembre, et dans laquelle je vécus jusqu'à mes 25 ans, j'aime à penser que si la Loire coulait par mes yeux, la raison en était que quelques jours plus tard, un matin de novembre 2003, le cinéma Apollo allait fermer ses portes.
problemeuh-meuh
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le 6 mars 2012

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