On pourrait bien sûr multiplier les reproches à l'encontre de Chez nous : les personnages manquent d'étoffe, la trame narrative est cousue de fil blanc, le parti pris politique a quelque chose de grossier, tout comme cette tendance didactique à enfoncer des portes ouvertes... Tous ces éléments, bien qu'avérés, ne suffisent toutefois pas à prendre la pleine mesure du film de Lucas Belvaux, qui n'a d'autre prétention que celle de poser les bonnes questions – et de remuer quelque peu le FN, manifestement contrarié à l'idée de se voir ainsi mis à nu, fût-ce par analogie.


Pourquoi les classes populaires finissent-elles aujourd'hui régulièrement dans l'escarcelle de l'extrême droite ? Pauline est infirmière à domicile et se pense sincèrement de gauche. Elle a certes une posture politique virginale, ne vote pas, n'est pas encartée, mais vient d'une famille communiste chez qui résonnent les valeurs de solidarité, de tolérance et d'égalité. C'est pourtant le Rassemblement national populaire, un mouvement issu de la droite la plus radicale, qui va l'investir en vue des élections municipales, et ce par le truchement d'un médecin de famille aussi prévenant que calculateur. La première partie de Chez nous cherche à montrer par quel biais fallacieux les extrémistes parviennent à coloniser les esprits : discours lyophilisés subtilement expurgés de toute outrance, appel au bon sens populaire pour légitimer sans l'avouer les pires idées, argument séduisant du renouveau et du « tous pourris », sentiment d'abandon à l'endroit de la gauche républicaine, désignation entendue de boucs émissaires... Le choix de la candidate semble à cet égard judicieux : Pauline est recrutée par le RNP parce qu'elle sait se montrer à l'écoute, avenante, proche des gens, bref bien plus humaine que les anciens crypto-fascistes du service d'ordre qu'on s'échine à secrètement exfiltrer.


Quel est le halo de cet extrémisme édulcoré ? En quelques plans, dans une chambre d'adolescent, Lucas Belvaux dévoile les arrière-boutiques de la fachosphère, cette nébuleuse qui aspire à transformer la toile en un outil de propagande de la pire espèce, exigeant le bannissement des musulmans, évoquant la faillite du personnel politique de gauche comme de droite, appelant à une transformation profonde des modes de gouvernance. De manière plus explicite, le réalisateur belge fait état de haines sémillantes. Le père d'obédience communiste en vient à se détacher de sa fille au moment où elle s'engage auprès des extrémistes du RNP. Une visite dans un quartier populaire débouche sur une ratonnade plus ou moins organisée. Il y a aussi et surtout cette violence plus intériorisée, résultant de la peur d'être agressé, des velléités toujours plus intrusives du parti, d'un discours exclusivement fondé sur les sentiments désespérés de déclassement et de xénophobie. L'incendie social qui ravage les classes inférieures, notamment celles de la France périphérique chère à Christophe Guilluy, s'éteint ici au lance-flammes protectionniste et identitaire. Quant à l'attrait grandissant du RNP/FN, caractérisé par le glissement idéologique (trop) rapide de certains protagonistes, il se fonde sur une image entièrement remaniée et l'exploitation sans pudeur d'une détresse devenue inexpiable.


En 2017, qu'est-ce qu'un candidat du RNP ? Avant tout une « tête de gondole », si l'on en croit l'exemple de Pauline, qui restera de bout en bout largement étrangère aux excès de son nouveau parti. Il ne s'agit certainement pas, en l'état, de dédouaner ceux qui se mettent au service de la haine et du rejet, mais bien de sonder un système désormais éprouvé qui se contente souvent de recycler des quidams pour en faire des instruments politiques favorables à la cause extrémiste. La jeune infirmière, fraîchement désignée candidate, ne comprend pas pourquoi ses patients musulmans refusent désormais de se faire soigner par elle. Elle croit aux raccourcis, aux mensonges acidulés de l'extrême droite, faisant des étrangers respectables les principales victimes de la « racaille » et des « islamistes », pour reprendre deux termes très en vogue au sein de la droite identitaire. Elle ne se figure pas que c'est précisément le RNP qui colporte tous les amalgames et toutes les contre-vérités qui mettent à mal des communautés déjà fragilisées, dans le nord de la France comme partout ailleurs. En public, les assertions scandaleuses se font certes plus rares, l'image est travaillée comme de la plasticine, mais c'est bel et bien le vieux monde qui est toujours là, affublé des habits neufs de la normalité.

Cultural_Mind
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le 4 juil. 2017

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