Précédé par quelque relent d'une polémique imbécile qui aura eu pour seul effet de braquer les projecteurs sur sa sortie opportune, Chez Nous n'est finalement qu'un soufflé qui se déballonne lentement, au fur et à mesure de son déroulement, croulant sous le propre poids des clichés qu'il convoque.


Les premières minutes séduisent pourtant quelque peu, même si le classique terril apparaît très vite, pour bien dire qu'on est dans le Nord / Pas-de-Calais pour les deux du fond qui roupillent au dernier rang. Que l'on est donc dans une région sinistrée à deux pas des pâtures et que ce n'est pas de leur faute s'ils votent mal. Le quotidien vécu par cette infirmière émeut, tristement actuel et véridique, qui vole d'un patient à un autre. Au service des autres. La structure était donc toute trouvée pour exécuter une radiographie de ce sol de gauche. Expliquer comment les racines du mal se sont ancrées et se sont nourries. Cette seule intrusion consentie, ce décryptage des visages, du programme fugace qui passe alors que la télé est restée allumée, ces réflexions au détour d'une conversation auraient à coup sûr éclairé les raisons du vote, tenter d'y trouver une explication.


Belvaux préfère à cette approche l'art de sa démonstration des plus bourrines, aussi pesante que la démarche d'un éléphant dans un magasin de porcelaine, tout cela à l'appui de ses aspirations militantes, et pas seulement engagées et de sa certitude de professer le bien comme un curé qui récite son sermon dominical.


Il faudrait peut être rappeler au réalisateur belge que les sermons, dans les églises, on ne les écoute plus depuis belle lurette, quand on s'endort pas tout simplement devant. Chez Nous prend ainsi la forme d'une rhétorique tout ce qu'elle a de plus binaire, agitant sous le nez du spectateur les clichés les plus usés, parfois les plus rances tant ils ont trente ans de retard sur ce qu'ils dénoncent, souvent les plus sidérants de simplisme.


L'écriture n'est pas en reste, tant certains systématismes crèvent les yeux. C'est à se demander par exemple si Hénard ne reçoit pas qu'une seule radio, celle qui éructe les théories zemmouriennes. C'est à se demander si Hénard ne capte pas qu'une seule chaîne sur son râteau, celle qui diffuse des reportages sur les étrangers. Quant à laisser libre cours à une inénarrable chanson à boire de Patrick Sébastien pour qu'il dise à quelqu'un (on se demande bien qui), de fermer sa gueule pour faire plaisir à la France, le procédé manque de la plus élémentaire discrétion.


Concernant les fidèles, Belvaux les filme comme s'ils étaient embrigadés dans une secte, tant, lorsqu'il braconne avec sa caméra en plein meeting, il inscrit dans l'image des regards vides de zombies ou, au contraire, une adhésion extatique proche de la transe. Il dessinera enfin, pour finaliser son tableau, des personnages d'une beaufferie sidérante, tellement le portrait du personnage d'Anne Marivin est outré, ou fera embrigader un enfant par l'extrémisme comme si celui-ci se convertissait au djihadisme...


Un tel amoncellement de clichés étouffe littéralement les rares bons points de l'exposé de l'extrémisme pour les nuls de l'élève Belvaux, alors même qu'il a tout compris aux méthodes publicitaires et d'investissement d'un milieu ouvrier que les élites ignorent et abandonnent. Dommage, d'autant plus que les clichés du versant politique de Chez Nous contaminent la vie privée de Pauline, dont les rebondissements neuneus et mous sont dignes de la dramaturgie de Plus Belle la Vie, assaisonnés par ailleurs de dialogues qui sonnent faux et d'envolées politico-lyriques déclamées la main sur le coeur et le plus sérieusement du monde alors qu'elles frisent le ridicule.


Belvaux se garde bien, de plus, d'évoquer les raisons d'une telle déroute politique, pourtant pertinentes, alors que cette main basse sur le peuple fait suite à des temps immémoriaux de gestion clientéliste du vote de gauche. Il n'en profite pas plus pour dénoncer les rodomontades montées de toutes pièces par la cheffe de file du parti à la flamme, dont le nom a même été changé, symbole du courage tout relatif du réalisateur belge, alors même qu'il pouvait pointer toutes ses contradictions, comme La Conquête le faisait vis à vis de Paul Bismuth. Il aurait pu prendre le parti d'en rire, comme l'avait fait Quai d'Orsay il n'y a pas longtemps.


On pourra aussi se poser des questions sur les convictions de Belvaux, qui n'a par exemple pas jugé utile de consacrer un film sur les rouages mentaux d'un ministre du budget qui a menti de manière honteuse à la représentation nationale. Ou une oeuvre sur les financements troubles des campagnes électorales droitières successives...


Mais non, Belvaux préfère asséner une piqure de rappel en forme d'étalage de la bien-pensance, dénoncer que le FN, c'est pas bien, comme si on ne s'en n'était pas encore rendu compte. Et se rendre complice, par une sortie opportune à quelques mois d'une élection capitale, de la confiscation d'un débat politique qui a tout de l'orchestration. De la confiscation d'un débat pied à pied, programme contre programme. Il aurait pu dénoncer, par exemple, et de manière très simple, la sortie de route en forme d'impasse des prescriptions du FN en matière d'économie, comme l'a fait hier l'Institut Montaigne.


Mais non, Belvaux préfère asséner ses clichés les plus usés, sans le moindre recul sur son propos qui a tout du naïf, comme l'oie blanche qu'il met en scène, dans un album de Martine. Il préfère, avec Chez Nous, convaincre le public acquis d'avance à sa cause, cette gauche qui pense et qui rit, qui viendra inonder la salle en saluant son oeuvre comme nécessaire et salutaire.


Sauf que Lucas Belvaux provoquera, dans un parallélisme des formes qui aurait dû lui faire peur, un raidissement de l'auditoire qu'il voudrait convertir. Il provoquera, chez les partisans extrêmes, la conviction de la vérité et de la nécessité d'un programme démagogique qui ne peut qu'être juste puisque les forces de la bien-pensance ont cru nécessaire d'en faire un film pour tenter de lui faire échec.


Belvaux n'a peut être pas mesuré l'ampleur de ce retour de bâton. Pas plus que le public acquis à sa cause. Car après s' être retourné pour contempler les sourires satisfaits plaqués sur les visages de la salle pleine, il n'est pas interdit de penser, dans un soupir de dépit, que finalement, nous avons peut être l'élection que nous méritons...


Behind_the_Mask, politiquement correct.

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