J’avais presque complètement oblitéré ce film de ma mémoire. Je l’ai vu je crois à plusieurs reprises à la télé quand j’étais môme. A l’époque, ce genre de film était multidiffusé. Annie Girardot était une star, qui représentait la femme moderne des années 70/80. Aujourd’hui, ce film est un peu oublié et c’est bien dommage. J’ai dû le voir si souvent qu’au fur et à mesure de toute cette revoyure, le plaisir a été immense à retrouver ces scènes, ainsi que le talent d’écriture de Francis Veber et surtout l’excellence de l’interprétation.


D’entrée, le générique annonce la couleur : le très haut niveau, plein de promesses. Le nom de Vladimir Cosma est celle d’une musique singulière a priori. Le compositeur a signé des oeuvres maîtresses qui enchantent encore ses admirateurs. Mais, je veux confesser de suite que sur ce film, l’empreinte sonore du maestro ne se fait pas sentir autant qu’on pourrait l’espérer d’un tel artiste. C’est peut-être le bémol le plus important que j’avais à souligner.


Le générique m’apprend que le scénario est signé Francis Veber : impossible que le film soit mauvais à première vue. J’ai beau chercher, je ne trouve pas un film fondamentalement raté à l’écriture de la part de Veber. Bien entendu, certains sont peut-être pas aussi bons que d’autres, mais des films complètement loupés par Veber, ça n’existe pas. De fait, Cause toujours tu m’intéresses n’est pas un mauvais film, pas le meilleur de Veber, certes, mais surtout pas un mauvais.


Examinons ce scénario. Sur le plan du rythme, je lui trouve un bel équilibre d’ensemble. Fluidité exquise. La voix-off (outil narratif ô combien périlleux) de Jean-Pierre Marielle aurait pu poser problème, or, elle est utilisée ici avec parcimonie, à bon escient. L’histoire se déroule avec aisance et assez de percussion.


La comédie n’est pas poilante, qu’on soit d’accord là dessus, mais il convient d’avantage de la considérer comme une délicate comédie au sens classique, celui du film pour rire grâce aux portes ou aux dialogues qui claquent. Cause toujours... fait sourire grâce à la situation et aux relations que nouent les personnages. On pourrait résumer par l’expression “comédie sentimentale”. Avec cette histoire de quadras célibataires en quête de partenaire grâce à une sorte de correspondance à distance et à l’aveugle, on est plus proche de la comédie lubitschienne : on songe à The shop around the corner, hé, bien obligé! L’objectif du film n’est pas d’être désopilant, mais de proposer, à partir d’un sujet de société, un regard tendre et léger, un spectacle agréable. Et sur ce point, le scénario de Francis Veber me parait plutôt bien ficelé. Oh, je serais éventuellement un poil réservé sur le dénouement, le personnage de Marielle ayant bâti son entreprise de séduire Girardot sur un mensonge, on doute que cela puisse raisonnablement se finir aussi simplement.


Mais dans l’ensemble, il y a là un film au récit bien tenu, avec pas mal de force chez les personnages, ainsi que des à-côtés comiques et touchants. Par exemple, l’apport du personnage du voisin sénégalais joué par Umban U’Kset est très important et offre un miroir comique indispensable pour Marielle. De même, celui de Jacques François est tout aussi nécessaire pour Girardot. Les deux comédiens jouent de manière sobre, très correcte et directe, incarnant la stabilité dont les deux héros principaux ont tant besoin pour ne pas tomber complètement dans le chaos.


De tous petits rôles viennent ici et là colorer leur quotidien morose. Je pense à Michel Blanc en policier strict et qui est vraiment très drôle. J’ai beaucoup aimé Jean-Claude Martin dans un rôle de Droopy suicidaire assez irrésistible.


Mais bien entendu, les deux têtes d’affiche font l’assise du film en interprétant leur partition de façon magnifique, avec une justesse extrême. Jean-Pierre Marielle trouve là un de ses meilleurs rôles, peut-être pas aussi spectaculaire que ceux des Galettes de Pont-Aven ou de Que la fête commence, mais il est sûrement tout aussi croustillant que dans celui de La valise par exemple. Son personnage est plein de tendresse, de délicatesse, paumé dans un costume trop grand pour lui et que son mensonge le force à porter. Emouvant. J’adore cet acteur et ce rôle en particulier est vraiment attachant.


Quant à Annie Girardot, que dire? Une des plus grandes actrices françaises, pas de doute possible. Je l’admire sans aucune restriction. Une grande classe. Et dans cette période à cheval sur les années 70 et 80, son âge d’or, elle était plus qu’une actrice, elle portait par sa filmographie quelque chose de bien plus grand qu’elle, une image de femme française, une idée de modernité qui a certainement compté pour un très grand nombre de spectatrices et qui explique son immense notoriété, l’affection que lui vouait le public. Et dans ce film en particulier, elle est vraiment au sommet de son art, dans la comédie, la tristesse, dans sa capacité à composer une femme à la fois fragile et courageuse, pragmatique et rêveuse, pleine d’espoir puis navrée par ses désillusions, elle module l’expression d’émotions diverses et contradictoires, sans jamais tomber dans l’excès. Un personnage fouillé, dense qu’elle construit avec une puissance de jeu phénoménal : j’adore!


Pas étonnant que le film ait été largement multidiffusé, plébiscité par le public, les deux comédiens déchirant leurs mémés. Ah si, j’ose! Le maître mot de leur performance est “justesse”. Il n’y a pas une scorie, pas d’excès, d’absence, ils font juste ce qu’il faut quand il faut et touchent au coeur. Dans le mille. C’est un travail d’acteur époustouflant. J’adore le cinéma et rien que ça, ce jeu précis, impeccable, pour cette efficacité, j’aime ces moments privilégiés que nous offre cet art.
Captures et trombi

Alligator
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le 22 nov. 2017

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