On a tous, ici sur Sens Critique comme n'importe qui d'autre ailleurs, un film qu'on aime sans bornes, qu'on peut regarder inlassablement, qui nous hante au plus profond parfois. Ça peut aller du plus banal des spectateurs au plus féru des cinéphiles, chacun y a droit. Le genre de film dont on se fout des défauts, celui qui est capable de nous rendre aveugle et agressif à notre insu, tant on est épris de passion au point de le partager avec la première personne que l'on croise, ou d'avoir une envie contenue de gueuler à son voisin lors de certains débats : "Mais putain, avec QUEL FILM tu crois qu'on peut atteindre un niveau comme ça, CONNARD?!"


Chez moi, il s'agit de Casino. Film réalisé par Martin Scorsese.
Revoir Casino au fil des années, c'est un peu comme ma prescription médicale.
Cela va au delà du divertissement, c'est religieux. Pour ma santé mentale.


C'est sans doute le film qui, quand tout va mal, me rappelle que le cinéma c'est génial.


A chaque revisionnage, une énième claque.
A chaque revisionnage, défilent les trois heures les plus rapides de ma vie.
Il accomplit également ce tour de magie de me faire croire que le film est aussi court et prenant qu'un grand épisode de série télé. De me faire croire, même en le connaissant par coeur, que la scène que je vois à l'instant est ma favorite, puis celle qui arrive... Non, plutôt la suivante... et ainsi de suite. Perdre la notion du temps prend alors tout son sens, car commencer le film ou prendre un extrait au hasard, n'importe quelle scène, c'est la certitude que je vais finir par mater le reste jusqu'au bout. Quelque soit le moment, même si ce n'est pas intentionnel, l'hypnose fait déjà effet.


Seulement voilà, Casino est un peu considéré comme le jumeau maléfique de Goodfellas. Il souffre d'une inévitable comparaison avec ce dernier, sorti cinq ans avant lui. Les deux sont à mes yeux des chef d'oeuvres incontestables, tous deux co-écrits par Nicholas Pileggi. Possèdant la même énérgie, la même frénésie, les deux sont également servis par une narration en voix-off. Oui, Joe Pesci incarne encore une fois un gangster mafieux colérique et on croirait presque que Ray Liotta va finir par débarquer lui aussi d'un moment à l'autre à l'issue d'une scène. Je conçois et respecte tout à fait que l'on préfère l'un ou l'autre... voire même aucun. Mais comme il s'agit de ma critique et que c'est moi l'chef ici, ma tâche est d'expliquer pourquoi j'accorde plus de crédit à ce film qui me procure DEUX fois plus de plaisir.


Je pourrais commencer en citant par exemple, la mise en valeur poussée du terrain de jeu qu'est Las Vegas. Ce lieu sexy, plein de vices, parfait pour illustrer les gloires et décadences du milieu mafieux. Ce qui est chose faite car la caméra de Martin Scorsese bouge tel un poisson dans l'eau dans tous les recoins jusque dans les plus infimes détails, que ce soit dans le fonctionnement des casinos, le milieu du show-biz ou la ville elle-même. On connaît déjà le réalisateur pour sa manière de filmer New York dans pas mal de ses oeuvres, ici la maîtrise est telle qu'on pourrait croire que ce dernier a passé une bonne partie de sa vie dans cette ville lumière et son désert.


On suit Ace Rothstein (De Niro), dans cet endroit qui nous paraît tantôt pays des merveilles qu'il tient dans le creux de sa main mais également une jungle impitoyable ou l'on aurait tort de penser qu'il est impossible d'y avoir des ennemis, quelqu'un qui guette sa chute, quitte à le poignarder dans le dos. Il n'y a pas de règles, pas de place pour les faibles. Tout le monde est là pour gagner. Pour régner. Et cela se paie bien souvent au prix du sang. Je pourrais citer non pas une cette fois-ci mais DEUX remarquables présences en voix-off. Celle de De Niro bien sûr, mais également celle de Pesci, qui ne manquera pas d'insister sur le côté pourri de Vegas, l'envers du décor jusque dans ses rouages, là où les opportunités les plus obscures sont légion. Je pourrais citer la présence de très bons seconds rôles comme celui de Frank Vincent, James Woods et Don Rickles... Et enfin, je pourrais citer les nombreux passages que j'adore comme la scène d'introduction, les scènes de disputes conjugales, ou encore le face à face de Robert De Niro et Joe Pesci dans le désert (scène d'une esthétique sublime d'ailleurs), mais non...


Si je voue à Casino un amour et un culte sans limites, c'est grâce à DEUX femmes.


Deux femmes.


1) - Lors d'une scène, au beau milieu des lumières et des clients qui fourmillent dans son sanctuaire. Ace Rothstein pose son regard sur Ginger et dès lors, plus rien n'a d'importance. Le coup de foudre est instantané et on peut le comprendre en tant que spectateurs car dans ce rôle, Sharon Stone n'a jamais été aussi sublime. Tant sur le plan physique que par sa prestation d'une justesse si rare qu'elle se permet d'être à la hauteur de toutes ces gueules qui l'entourent au casting. Son personnage cristallise ce que Scorsese cherche à nous montrer dans son portrait de Las Vegas : D'une beauté envoûtante, capable d'attirer n'importe qui dans ses filets grâce à ses atouts mais risque fortement de te ronger jusqu'à l'os sans crier gare.


Elle. La plus merveilleuse de toutes les sangsues, dont la vue ne cible que le diamant, quitte à devenir le cancer d'une amitié forte. Elle qui saura mettre à nu les premières failles d'Ace pourtant si bien organisé, extrêmement soucieux du détail, si méthodique et quasi-invulnérable. Marquant la première amorce majeure de l'écroulement de son château de cartes. Si dans cette ville, l'homme est addict au jeu et l'argent... Rothstein, lui, sera addict à cette femme.


Avec cette performance, Sharon Stone montre toute l'étendue de son talent et n'a clairement pas volé son Golden Globe de la Meilleure Actrice ainsi que sa seule et unique nomination aux Oscars.


2) - Si l'on peut parfois avoir du mal a comprendre les raisons qui poussent Ace à tant faire, tout donner à Ginger dans le film, il est en revanche indéniable pour le cinéphile de voir a quel point Scorsese doit beaucoup à Thelma Schoonmaker. Pas de doutes, la dame connaît son job mieux que personne. Je vois en Casino le point culminant de ce que Scorsese et sa fidèle monteuse ont accompli après tant de grands films. Les scènes défilent d'une fluidité constante, sans aucun bout de gras, tout est calibré pour ne jamais perdre l'attention. Entre ralentis, freezes et inserts placés là où il faut, comme il faut. Sans compter les musiques fabuleuses qui, plus que jamais, s'emboîtent parfaitement avec ce qui est montré à l'écran, comme si ces dernières avaient été composées rien que pour ce film.


Le summum est atteint ici, lors du final magistral qui montre l'inévitable descente aux enfers, bercée par le morceau du groupe Animals : "The House of the Rising Sun". Cette scène, d'une violence graphique et d'une brutalité évidente prend alors des allures poétiques grâce à cette musique. J'ai beau être conscient que tout se termine mais je ne cesse de m'empêcher d'admirer la maestria avec laquelle ça a été réalisé. Cette scène pour moi, c'est la fin du tour de passe-passe. C'est le lapin qui sort du chapeau magique avec une petite note aiguillée sur le noeud papillon pour me rappeler que : "C'est celle-là, ta scène préférée, tu as beau connaître le numéro par coeur mais tu n'as rien vu venir".



  • Ouais... Toi aussi tu déchires Thelma.


En résulte au final, l'achèvement d'un beau voyage. Comme si après ça, je connaissais Vegas comme ma poche, en y étant allé plus de cent fois. Un de ces rares films qui m'a ému non pas à cause de passages larmoyants ou autres mais rien que par son incroyable maîtrise.


Mais pas besoin d'avoir les yeux embués de larmes pour que quiconque me connaissant constate qu'ils brillent de mille feux à chaque rediffusion. Car si le trio De Niro/Pesci/Stone fait bel et bien des étincelles à l'écran, on remarque tout de suite que derrière la caméra, le trio Scorsese/Pilleggi/Schoonmaker en est la poudre noire.


Fuckin' Masterpiece, I'm tellin' ya...

facaw
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le 4 mai 2013

Modifiée

le 30 juil. 2013

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facaw

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