Deuxième film de l'américain Matt Ross, Captain Fantastic raconte l'histoire de Ben, un père de familial élevant ses six enfants dans les forêts sauvages du nord-est des Etats-Unis. En l'absence de leur mère, hospitalisée pour une forte dépression, Ben continue leur éducation telle que la voulaient les deux parents : ils s’entraînent à la chasse à l'arc, au pistage, à l'escalade, lisent énormément, apprennent d'un instrument, tout ça dans un campement rudimentaire sans électricité, ni eau courante. Mais lorsque la mère se suicide, tous doivent se confronter au monde "réel" pour se rendre à son enterrement.


Et de fait, le scénario n'est pas inconnu. Des marginaux confrontés et/ou inadaptés à notre société de consommation, le cinéma en regorge, de Into The Wild à Mosquito Coast en passant par les vieux héros burtoniens. Mais cela dérive souvent vers une vision manichéenne d'un des deux bords. Dans Into The Wild, difficile de ne pas saisir la volonté de faire du personnage principal un homme libre, témoin de l'illumination, libéré de toute question bassement matérielle. La seule petite remise en cause de son exil vient du fait qu'il l'ait mené seul. Mais, de toute son arrogance et sa prétention, jamais il ne revient sur son mode de vie, et le film ne le questionne pas non plus.

Dans Captain Fantastic, le propos ne se renie pas. Chaque camp (Ben et sa vie en ermite érudit d'un côté, et le capitalisme consumériste de l'autre) est présenté avec ses qualités et ses défauts. La progression de cette vision est bien rythmée : au départ les enfants sont présentés à travers leur savoir et leur soif de connaissances, et les scènes permettent de pointer du doigt l'absurdité de notre société; la propriété des grands-parents dégueule l'opulence et les personnes qui n'ont pas été élevées par ce même mode de vie sont moins cultivées, moins sures d'elles, en surpoids etc. Mais progressivement, l'inadaptation des enfants à un monde "normal" devient flagrante et la maison de Papy et Mamy se révèle un cadre sain où les enfants peuvent vivre tranquillement. A la fin du film, on assiste donc non pas à un abandon total d'une des visions, mais à un entre-deux : oui, il est bon de ne pas plonger la tête la première dans l'ultra consumérisme, mais il n'est pas nécessaire de se couper complètement du monde. Et ça fait du bien. Le film ne se dénature pas, ne se renie pas.


Ce propos aurait pu paraître tout à fait ridicule si nous n'avions pu compter sur la performance des acteurs principaux qui sont tous excellents. Viggo Mortensen, bien sûr, mais également les enfants, même les plus petits, jouent avec beaucoup de justesse et de naturel. Quand on sait qu'ils ont réellement vécu à la sauvage pendant deux semaines pour se plonger dans leurs personnages, et ont tous appris l'instrument qu'on les voit jouer, on ne peut qu'admirer l'abnégation.


La réalisation se montre malheureusement assez impersonnelle. A part quelques plans bien trouvés (les reflet de Ben dans le rétroviseur), elle reste au service du scénario (et certes le fait bien) mais rien ne marque durablement la rétine - à part peut-être la scène de la cérémonie funéraire où les membres de la famille arborent tous des couleurs très flash.
Mais on pardonnera ce manque de créativité visuelle tant le film réussit avec brio à porter son message, sans jamais tomber dans le mélodrame, le tire-l’œil ou la dénonciation facile.


Et j'avoue ne pas pouvoir être très objectif sur ce film - lorsque je l'ai vu pour la première fois, je venais de perdre mon père. Alors un film dont l'un des sujets principaux est la manière d'appréhender le deuil d'un parent, hein, j'vous fais pas un dessin, mais ça a touché un point sensible. D'autant plus que le film s'emploie à décrire les relations d'un père avec ses enfants.


Et ce film est fort. Il est touchant, beau, avec une morale saine et intelligente, très drôle également parfois. Ce film m'a profondément marqué, transformé. Il m'a permis de réfléchir sur mon mode de vie, sur ce que je voulais transmettre à mes futurs enfants, sur la vie que je voulais mener et comment je voulais la mener.


Alors lorsque l'on me demande ce que j'ai pensé de Captain Fantastic, je n'ai pas peur d'affirmer, de toute ma subjectivité : c'est le meilleur film de 2016.

QuentinYuanMalt
9
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le 5 nov. 2017

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Yuan Cloudheart

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