Avec un tel titre, Captain Fantastic a des airs de films de super-héros. Au visionnage, on s’apercevra que l’adjectif est utilisé à l’intention dudit héros dans des circonstances plus romantiques que pseudo-guerrières.


Le Captain, c’est Ben Cash (Viggo Mortensen), un homme qui a fait le choix d’une « altervie » pour lui et pour ses six enfants. Soit : une existence loin de la société de consommation, au milieu de la nature de la région du Pacifique Nord-Ouest et plus précisément dans l’état de Washington, une vie faite d’exercices quotidiens de survie et de mise en forme, de séances intensives de lecture intelligente et instructive, de balades au coin du feu que Ben et son fils aîné Bo agrémentent de leurs guitares.


Des circonstances dramatiques vont les obliger à rejoindre la « civilisation », et cet épisode permettra de découper le film d’une manière logique et très conventionnelle : une première partie dédiée à la découverte de cette famille atypique, une autre consacrée à analyser les bruits de son frottement à la normalité, et enfin une conclusion qui synthétise le tout.


Malgré un tel déroulement plus que convenu, presque téléphoné, le film de Matt Ross parvient à surprendre. Les dialogues sont savoureux et drôles, et par leur jeu très juste, les jeunes personnages les égrènent avec beaucoup de facétie et engendrent une empathie immédiate et intense. Même si le discours du cinéaste semble très manichéen de prime abord, dans le genre « les altermondialistes sont des gens bien, tandis que tous les autres sont ridicules : gros, ignares, à la limite d’être décérébrés », il n’hésite pas à apporter des contrepoints qui mettent en dérision Ben et sa radicale petite famille : une scène emblématique est celle de la « Noam Chomsky Day », hilarant au demeurant, mais qui frise le caricatural. Une célébration qui ressemble en tous points à un anniversaire ordinaire si ce n’est que le gâteau est volé au supermarché du coin, suppôt numéro 1 du capitalisme, que les chants d’acclamation sont révolutionnaires, alors que Rell, le seul des enfants qui exprime sa rébellion par rapport à leur mode de vie, réclame à cor et à cri de célébrer Noël comme les autres et de chanter tout bêtement des Christmas Carol…
Dans le même ordre d’idées, on s’aperçoit qu’en général, la vie en dehors du système n’est pas que paradisiaque et au contraire exige une rigueur peut-être encore plus forte qu’ailleurs pour fonctionner, et il ne manque plus que le petit tic-tac de la montre de Miss Pérégrine dans le récent film de Tim Burton, tant cette vie est millimétrée au cordeau : les séances d’exercice physique, la « classe » faite de débats entre les enfants, de lectures intensives d’auteurs ciblés, tels que Dostoïevsky, Nabokov et bien sûr, Noam Chomsky, tout est minuté par Ben.


Le film n’est donc manichéen qu’en apparence. Car le prix à payer pour soutenir ce mode de vie altermondialiste est le cadre survivaliste qui est celui de la vie de la famille de Ben, et que généralement, on associe plutôt à une mouvance droitiste de la société américaine. Le prix à payer est une sorte d’inadaptation sociale de la famille Cash, et tout le sujet du film est de montrer que le plus dur est de trouver l’équilibre entre le trop et le trop peu. Et c’est exactement pour ces raisons que le films marche : Il n’y a pas de condescendance ni envers les uns , ni envers les autres, et si on pense par exemple à cette scène, où accusé par son beau-père de ne pas scolariser ses enfants, Ben fait réciter les amendements de la constitution successivement par un de ses fils , 8 ans, et les cousins de celui-ci , collégien et lycéen ; les réponses brillantes de son fils peuvent créer chez le spectateur un sentiment de malaise par rapport à l’arrogance qu’on pourrait y déceler…


Le choix de Viggo Mortensen est évidemment une des clés de la réussite d’un film qui aurait pu être très planplan. Celui qui l’a vu dans Jauja de Lisandro Alonso, un film magnifique bien qu’assez cryptique qu’il a également contribué à produire, comprend les raisons d’une telle adéquation : un acteur capable de puiser très loin en lui-même pour les besoins d’un rôle, capable de dégager énormément avec pourtant un minimalisme extrême. Un acteur qui a tenu un tel rôle, à haute teneur philosophique, est idéal pour figurer ce père qui a tourné le dos à la société traditionnelle dans le but de préparer ses enfants pour une société différente, certainement meilleure mais utopique, inexistante, au risque de les rendre impropres à vivre dans celle qui est la leur. Viggo Mortensen a combiné toutes les cordes de son arc pour faire la différence et éviter la caricature à son personnage…


Captain Fantastic est un feel-good movie au sens le plus littéral du terme. Non seulement il fait appel à la fibre sentimentale du spectateur, mais de plus, sa non prise de position peut satisfaire à la fois une frange de la société et son exacte opposée. N’en déplaise à ses détracteurs, le film est plaisant et intéresse dans sa capacité à interpeller sur un sujet aussi crucial que la parentalité, même si la manière est maladroite par moments…

Bea_Dls
8
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le 16 oct. 2016

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Bea Dls

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