Ça y est, les salles sont ouvertes, on peut s’enfermer dedans. Pour cette reprise mon choix s’est porté sur Canción sin nombre, film intriguant dont j’avais entendu beaucoup de bien, et qui par sa couleur et quelques plans me faisait beaucoup penser au Tango de Satan (Béla Tarr, 1994) avec des plans larges et brumeux. L’histoire est assez simple : on se situe au Pérou, en 1988, la crise économique bat son plein et Georgina, jeune femme de 20 ans, accouche dans une fausse clinique où son bébé disparaît. Elle se révolte auprès de journalistes, et l’un d’entre eux va se pencher sur cette affaire, il s’appelle Pedro.


Une puissance visuelle…


Disons-le clairement, le film est magnifique visuellement parlant, offrant des cadres des plus imposants et variés, alternant entre le grandiose des paysages du Pérou et l’étouffement dans des bâtiments où dans les rues du pays. Cependant, on note déjà la volonté de montrer beaucoup de contradictions, que ce pays est fracturé de toutes parts, ainsi les plans larges de personnes marchant dans les montagnes ne servent pas à montrer la beauté de l’environnement, mais bien sa pauvreté, avec des fois de pauvres maisons trainant par-là, et de pauvres personnes peinant à avancer à travers le brouillard, le vent, ou bien la nuit. Cela couplé avec un format 1,33 aux bords arrondis (véritable immersion dans une époque comme à la télévision) forme une vraie beauté formelle, où le noir et blanc est beau, très beau, trop beau.


… Laissant sur la faim


Car oui, une belle image ne veut pas forcément dire que ça rend le film meilleur. Ça lui donne une esthétique incontestable, mais dans le même temps ça ne veut pas dire grand-chose, et c’est ce qui rend la mise en scène inégale. La volonté de faire étouffer le spectateur dans ce climat dangereux se sent, mais de par cette image trop belle réside une contradiction frustrante, et ce n’est pas comme si la réalisatrice voulait montrer que le Pérou était beau de l’extérieur mais effrayant de l’intérieur, la première scène montrant tous les titres de journaux parlant de la crise du pays vient contredire cette thèse.


Les contradictions typiques d’un premier film


Alors oui le film veut rendre compte d’un quotidien lent, où chaque chose met du temps à se passer. Par exemple quand Georgina monte les escaliers de la clinique pour accoucher, c’est montré de manière très lente avec un magnifique plan où la caméra effectue un panoramique vers le haut pour dévoiler toute la marche qui lui reste à accomplir, mais le montage ne laisse pas le temps de profiter assez de la souffrance de la femme, en coupant directement sur l’accouchement. C’est bien là l’un des gros problèmes de ce film où le montage, trop pressé de fracturer les plans, fait perdre toute la lourdeur des scènes.
La narration est quant à elle inégale, la première moitié du film étant assez prenante et amenant plutôt bien les personnages, mais la seconde moitié se perd dans fils entremêlés de l’histoire qui veut tout dire mais n’en a pas le temps. C’est l’exemple typique d’un film qui en 2h30 peut dépeindre un magnifique portrait d’un pays et d’une femme en colère, mais qui en 1h30 ne montre tout que par un regard assez superficiel. Là où le personnage de Georgina est assez beau dans la première moitié, il est presque délaissé, et les scènes où elle apparaît en deviennent vides de sens (ce qui n’est pas aidé par le jeu plus que moyen de l’actrice). On sent là un vrai côté amateur dans l’écriture de ce film, et c’en est regrettable.


En somme, Canción sin nombre a un air de belle coquille à moitié vide, où le début nous happe dans un univers sombre mais attirant, mais qui par la suite se dévoile être d’une trop grande fragilité dans sa progression narrative. Cependant, la réalisatrice est à suivre, car avec plus de maîtrise elle pourrait nous offrir des œuvres bien plus profondes et maîtrisées.

NocturneIndien
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le 24 juin 2020

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NocturneIndien

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