Don't cry, don't raise your eye, it's only teenage wasteland

Parée.
J'étais parée pour Call me by your name. En ce lendemain de cérémonie des Oscars, je me suis rendue au Majestic avec mes deux acolytes, à savoir ma mère et ma grand-mère. Étrange, non ? D'aller voir un film dont la réputation s'est faite sur une scène de sexe avec une pêche et sur un amour homosexuel, avec sa mère et sa grand-mère ? Malsain, même ?
Eh bien, non. J'ai été bercée, depuis petite, aux films de James Ivory, dont les deux chefs d'oeuvres pudibonds et torturés sont Chambre avec vue et Maurice. Alors, quand j'ai appris qu'Ivory avait scénarisé (ou plutôt, écrit le scénario en adaptant un roman) ce film dans lequel le joli (euphémisme spotted) Timothée Chalamet officiait, je m'y suis ruée. Et là, déception.
Le générique est absolument splendide, mais, après coup, il renferme déjà tous les défauts que l'on peut attribuer au film : cliché, pédant, un peu trop soigné pour que ça soit honnête. Et dès ce générique, on sent poindre le gros - que dis-je, l'énorme - problème de ce film : la forme prime bien trop sur le fond (c'est là où la fan de James Ivory a mal).


Commençons par ce qui dérange : un scénario plat. En effet, prétendant évoquer l'amour, le premier amour, celui qui fascine, chamboule et blesse à la fois, Call Me by Your Name ne fait qu'en tracer les contours flous, sans l'émotion que demandait cette thématique. Emotion que, si mon mauvais esprit pointe le bout de son nez, l'on retrouvait bien plus dans Chambre avec vue et Maurice. Ainsi, le problème se pose : le livre (que je n'ai pas lu) dont le film est l'adaptation niait-il lui aussi l'Amour avec un grand A, et sa "substantifique moelle" ? Restait-il focalisé sur une pseudo histoire d'éveil adolescent réduit au stade de bébé face à un mentor froid et qui l'utilise comme objet d'un été ? Passons encore sur le scénario, étant donné que je n'ai pas les clefs nécessaires à la totale compréhension de ce qui a été adapté et/ou réinventé.


Petite bouffée d'air frais dans cette critique : l'aspect technique. En effet, le film, dans sa réalisation technique, est vraiment enthousiasmant. Une lumière ensoleillée (rappelant que l'Italie a toujours fourni des cinéastes attachés à la lumière), des couleurs chatoyantes, une bande-son années 80, des décors splendides (une vieille villa de Lombardie, on aura vu bien pire comme lieu de tournage). Le décorum a donc tout pour plaire. Ajoutez à cela des acteurs en vogue : Armie Hammer (dont je ne décèle malheureusement aucune beauté), remarqué dans The Social Network et surtout le jeunot Timothée Chamalet, vu dans Lady Bird la semaine dernière et qui joue plutôt bien, apportant au film une dose de vie, de fraîcheur et d'adolescence. Le personnage de Marzia, joué par Esther Garrel, n'a, à mon sens, aucun intérêt, est cliché de l'adolescente futile, niaise et n'apporte aucun enjeu à l'histoire, si tant est que, ô quel trouble adolescent de se fourvoyer dans une relation hétérosexuelle quand, au fond, Elio aime Oliver ?


Car, voilà, nous y sommes : le propos du film est incohérent, et les intentions de Guandagnino et (ça m'arrache le coeur de le dire) d'Ivory sont floues. À ce flou s'ajoute un côté absolument pédant, snob et insupportable du film, qui se finit en apothéose par une citation de Montaigne en français dans le texte. Le film est snob, mélangeant les musiques américanos-eighties sous une lumière léchée à des références arty sur la relation entre éphèbe et maître dans la Grèce antique, à grands coups de photos de statues grecques repêchées dans l'eau. Pas suffisamment concis, Call Me by Your Name (2heures et 12minutes, précisons-le) se perd également dans du piano, dans la façon de jouer Bach en tordant les interprétations de la musique (référence à Lucy Honeychurch de Chambre avec vue, plutôt malvenue), dans deux-trois accords de guitare gratouillés et dans des possibilités infinies de lectures estivales d'un adolescent, avant que les vacances ne soient passées sur les réseaux sociaux. (Mention spéciale à la dame devant moi au cinéma, dont les premières paroles au sortir du film furent "qu'est-ce que ça fait du bien de voir des ados sans leurs portables dans les mains !"). Entre une nostalgie mal placée, une fable sur les années 80, où sommes-nous ?


Vous pensiez que la liste était finie ? Que nenni, passons au problème de la représentation de la sexualité à l'écran ! En effet, j'ai été habituée à des scènes crues au cinéma, notamment chez les jeunes gens : La Vie d'Adèle, Bang Gang, une histoire d'amour moderne, voire même chez les moins jeunes : L'Inconnu du Lac ou Théo et Hugo dans le même bateau montraient de façon crue, explicite et réaliste les relations homosexuelles. Alors, Call Me by Your Name, j'y ai cru au départ ! En voyant ces corps à demi nus, luisants sous une chaleur écrasante, une sensualité émanant d'eux sans même qu'ils s'en aperçoivent, j'y ai cru. La scène de sexe hétérosexuelle est assez réaliste, bien que polie et lissée par des conventions très hollywoodiennes, mais soit. Mais qui a donc pu avoir la bienheureuse idée de nier totalement la première scène de sexe homosexuelle entre Elio et Oliver, et a trouvé préférable de filmer UN ARBRE à la place ? Je ne comprends réellement pas la raison à cela, et, si je dois en trouver une, ce sera la classification, le politiquement correct et la possibilité de diffusion aux Etats-Unis, voire la Course aux Oscars.


Finissons cette diatribe par des litres de questions sur la fin de ce film (c'est-à-dire, après le moment où Oliver part en train et où Elio se retrouve à appeler Maman tel un animal en peine). Premièrement, je veux bien que les parents soient compréhensifs, ouverts, aimants, mais où est passée la règle de la vraisemblance ? Ensuite, quel est le but de ce coup de téléphone, à part d'attendrir le spectateur, de lui tirer deux-trois larmes, par mimétisme avec Elio et la belle gueule de Timothée Chalamet ? Quid de la famille, qui va prendre le petit Elio en pitié, bien que le laissant discuter au téléphone avec Oliver ? Enfin, quel sens a eu ce premier amour, le vrai, le beau, le grand, sur notre Elio ? Uniquement un beau voyage en Italie du Nord ? Des déambulations dans des ruelles de Lombardie ? Une découverte fruitée des plaisirs de la chair ?


Ce film me laisse dans une incompréhension monstre et dans une déception absolue quant à la personne de James Ivory qui, bien que lauréat d'un Oscar depuis 3 jours, devrait se cantonner à Florence et aux amours de 1910 en latin. Je ne vois pas quelles sont les raisons de (pour paraphraser InThePanda) la "hype" autour de ce film, si ce n'est qu'il a deux belles têtes d'affiches, qu'il se dit tendancieux et hors du système hollywoodien. Résultat des courses, il n'est que paraître, sans se concentrer sur la substance de l'amour et de l'éveil à la sexualité adolescente et préférant se disperser dans des aspects techniques empreints de nostalgie et d'esthétisme pédant.

CFournier
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le 7 mars 2018

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Coline Fournier

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