Sûrement ce que le blockbuster régressif U.S. peut aujourd’hui produire de mieux (…Et c’est triste.)

Je pense qu’on l’a tous un peu ressenti la première fois qu’on a été confronté à ce Bullet Train, que ce soit par sa bande-annonce ou via ses premières images…
On a tous ressenti ce qui semblait animer ce film. Cet esprit no limit. Cette culture de la débauche décomplexée. Cet élan presque naturel pour la frénésie…
Par bien des aspects, ce Bullet Train affichait quelque-chose de très blockbusteresquement étatsunien. En parcourant d’ailleurs très rapidement les titres des premières critiques postées sur ce site j’ai même vu quelqu’un parler d’une sorte de retour à l’âge d’or des années 90. Or j’ai beau ne pas partager ce constat-ci que malgré tout je comprends ce qui, dans le film de David Leitch, a pu susciter une telle impression.


Car oui, c’est vrai : il est évident que dans Bullet Train on semble bien loin des productions formatées et aseptisées que Marvel, Tom Cruise et autre Disney tendent à vouloir nous offrir aujourd’hui.
Le casting de rêve ne semble pas ici interdire l’irrévérence, l’outrecuidance, voire même une certaine forme de gratuité esthétique, à tel point qu’on pourrait être tenté de dire qu’on est ici bien plus proche de la culture d’un Tarantino bodybuildé voire d’un gros actionner schwarzeneggerien que des productions actuelles ouvertes à tous publics, quelque-soit leur âge ou leur pays d’appartenance.
En cela, oui, je peux entendre qu’on puisse trouver dans ce Bullet Train un état d’esprit qui le reconnecterait d’une certaine manière à une forme d’âge ancien – pour ne pas dire âge d’or – du blockbuster étatsunien, mais d’un autre côté je pense qu’en contrepartie il est aussi nécessaire de rester lucide afin de ne pas se leurrer non plus sur la réalité du spectacle qu’on nous fournit ici.


Alors oui – c’est sûr – il y a dans ce Bullet Train cette sensation que la bride a été lâchée au profit d’une certaine jouissance décomplexée : jouissance offerte au spectateur d’un côté dans le fait de multiplier les effets, les idées et les acteurs de haut-rang, mais aussi jouissance prise par les différents protagonistes du projet : entre un metteur en scène qui ouvre sur une version japonaise de Staying Alive, des scénaristes qui arrivent à poser Thomas, le petit train comme fil conducteur de l’intrigue et des acteurs qui cabotinent à l’envie, il est difficile de ne pas voir dans ce film une générosité, une énergie et une envie de bien faire qui sont généralement propres aux gens qui font du cinéma pour les bonnes raisons…
…Et j’avoue qu’en de multiples moments, ça m’est arrivé de me laisser porter. J’ai accepté l’univers, ri quelques-fois, et apprécié quelques moments de bravoure…


Malgré tout, en ce qui me concerne, ça ne s’est clairement pas fait sans effort.
Parce que d’accord pour dire que Bullet Train sait poser un univers et une esthétique, mais le moindre que l’on puisse dire c’est que ces derniers sont tout de même assez hideux.
Photographie jaune criarde, montage et mixage sonores boursoufflés, surenchère d’effets numériques dignes (et donc indignes) de son temps : sur tous ces points Bullet Train est bien le triste produit de notre époque et non celui du temps béni des actionners qui avaient au moins pour eux le sens de la matière, de la lumière et du rythme.
Idem, si la liberté de ton dans le verbe comme dans le geste sont assez manifestes ici, force nous est tout de même de constater en retour que tout ça ne vole pas bien haut et surtout ne vole pas très loin. Ça jacasse quand même beaucoup pour surjouer les stéréotypes, et ce n’est clairement pas en roucoulant pendant des heures sur des noms de fruit ou des petits trains enfantins qu’on aura l’impression d’avoir affaire à un vrai bolide lancé à pleine vitesse sur la voie de l’irrévérence libératrice.


Parce que le vrai problème de ce Bullet Train c’est qu’il a beau être riche de nobles intentions qu’il n’a malheureusement pas – et clairement pas – les moyens de ses ambitions.
Alors d’accord il a beau dégueuler à ras-bord d’arcs narratifs, de flashs-backs, de personnages, de gags et de situation en tous genres que ce film n’en demeure pas moins désespérément limité par son triste manque d’imagination et de maturité.
Dans Bullet Train tout n’est que resucée : et aux rangs des auteurs qui, dans cette histoire, se sont bien faits pompés, Quentin Tarantino et Matthew Vaughn en ressortent ici vidés de toute leur sève…
…Et c’est profondément gênant.


Des scènes d’action au récit saucissonné, des contrepieds aux outrances, tout pue le Kill Bill ou le Kingsman (parfois même le Snowpiercer de Bong Joon-ho voire – j’ose le dire – le Wolverine de James Mangold).
C’est tellement criard qu’à ce niveau on n’est plus dans le simple clin d’œil mais bien dans le manque flagrant d’inspiration. Difficile par exemple de ne pas voir dans le duo entre Lemon et Tangerine un doublon bas-de-gamme du tandem mythique Jules/Vincent dans Pulp Fiction. Tout y est. Enfin… Tout sauf la subtilité.
Parce que non seulement l’effet est connu mais en plus il est peu gracieux. Peu malin. J’ose même dire qu’il est parfois clairement bêta.
Et si à certains moments le plaisir régressif peut volontiers prendre le dessus, la plupart du temps ce Bullet Train peine à dépasser la banale esbroufe d’adolescents
…Et, pour tout vous dire, ça me fait un peu chier.


Bah oui ça me fait chier parce que, sur de nombreux aspects, il avait de quoi m’embraser ce film…
…Il AURAIT DÛ m’embraser.
Non mais oh ! Bad Pitt qui cabotine ! Hiroyuki Sanada qui nous remet le couvert !


…Même l’arrivée surprise de Michael Shannon pour camper le « Bill » local m’a fait plaisir alors que pourtant je ne suis clairement pas fan de cet acteur !


Et en plus de ça on nous brode tout un univers à base de références multiples, structuré de manière ambitieuse au sein d’un trajet en train, un peu à la manière d’un Snowpiercer voire d’un Dernier train pour Busan, le tout imprégné d’un esprit de grandiloquence absurde qui n’est pas sans rappeler John Wick.
Moi sur le papier, ce film, il me fait plus que saliver !
Pourtant voilà, le fait est qu’au sortir de ce film je me suis davantage retrouvé avec la bouche pâteuse plutôt qu’avec la bave aux lèvres.


En fait, ce qui me fait surtout le plus chier avec ce Bullet Train c’est que je ne peux m’empêcher de le percevoir comme une simple et triste démonstration d’un certain assèchement du monde du blockbuster étatsunien.
Car autant on pourra toujours expliquer les tristes soupes industrielles fournies par Marvel et compagnie comme étant la simple conséquence d’auto-restrictions dictées par les impératifs de la diffusion de masse, autant les carences de ce Bullet Train ne semblent en définitive s’expliquer que par le seul fait qu’au fond on ne sache plus faire.
On ne sait plus vraiment être irrévérencieux.
On ne sait plus vraiment faire du spectacle visuellement spectaculaire.
On ne sait plus faire… Que ça.


Alors certes, je serais sûrement d’accord pour dire qu’avec un Tarantino, un Mendes voire un Sam Raimi aux commandes on aurait sûrement eu autre chose qu’avec ce yes man de Leitch, ça je l’entends bien, mais justement…
Dans les années 90, parmi les yes man à la Leitch il y avait des Michael Bay, des Marco Brambilla ou autres Rob Cohen. C’était des mecs qui – certes – ne te pondaient pas des chefs d’œuvre, mais qui au moins avaient le mérite de savoir te faire des films qui étaient à la fois régressifs ET propres, ou bien régressifs ET sachant manipuler une certaine forme d’auto-dérision…
Or au rang de ces blockbusters régressifs disposant de moyens conséquents, ce Bullet Train fait quand même triste mine. Souvent confus, dépourvu de toute satire ou de second degré et surtout tristement moche. C’est quand même badant tout ça…


Au fond, toute la désillusion de ce film tiendrait presque en un symbole ; une image survenant à la toute fin du film et qui résumerait presque à elle toute seule le malaise que peut générer ce film…


…Et cette image c’est celle de Sandra Bullock.
Présente tout le long du film par la simple entremise de sa voix, Sandra Bullock finit par apparaitre lors de la scène conclusive ; rappelant à sa propre et triste réalité.
N’assumant pas le temps qui passe, cherchant coûte-que-coûte à s’ancrer dans son image de jeune actrice à succès des années 90, Sandra Bullock a fini par se défigurer à grand coup de bistouris, de maquillages et d’effets numériques, au point d’apparaitre en fin de ce film non comme une guest de luxe mais plutôt comme un drôle de fantôme d’une période qui ne s’assume pas comme révolue.


Or, en ce qui me concerne, c’est bien cette image là qu’il me restera de Bullet Train.
Non pas celle d'un film revigorant qui ressusciterait à lui seul un âge d’or qu’on pensait à tort appartenir au passé, mais plutôt un artifice grossier certes plein d’énergie et de volonté, mais qui n’a plus vraiment les moyens de nous mentir et de se mentir à lui-même au sujet de ce qu’il est vraiment.


Alors certes, ça n’en rend pas ce Bullet Train irregardable pour autant, c’est certain.
Faute de mieux, le meilleur reste encore d’aller prendre ce qu’on a sous la main.
Et s’il faut savoir saluer le mérite d’un film qui a su se faire énergique et généreux,
De l’autre il ne faudrait pas oublier qu’en un autre monde, le cinéma US aurait pu faire bien mieux.

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le 5 août 2022

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