On se pince. Le réalisateur de cette adaptation du célèbre roman de Sagan est-il bien le même que l'auteur de Laura et d’Anatomie d'un meurtre ? Vraiment, Preminger aurait dû s'en tenir au film noir. C'est d'ailleurs la partie en noir et blanc, essentiellement le début et la fin, qui est la plus réussie. Il se dégage de cette image presque sépia, peu contrastée, une nostalgie qui se rapproche du roman. La scène de danse sur fond de chanson interprétée par Juliette Greco est superbe. Les états d'âme de l'héroïne dans le tumulte du Caveau de la Huchette (en faisant abstraction du fait que les gens frappent sur le 1 et le 3 !) sont une autre réussite.

Puis apparaît la couleur. Puisque ce qui se passa cet été-là s'apparente à la perte d'un Eden, c'est une très bonne idée d'avoir opté pour un Technicolor aux teintes franches. Les gaies tenues des années 60 s'insèrent parfaitement dans ce décor éclatant - une vraie pub pour la French Riviera. Nous tenons, avec ce parti pris, sans doute le meilleur du film.

Car pour le reste, cette histoire de "pauvre petite fille riche", contrariée dans l'amour quasi incestueux qu'elle voue à son père par l'arrivée d'une ancienne amie de sa mère, est assez affligeante. C'est celle de Sagan, me direz-vous. Oui, mais dans le roman, que j'avais apprécié, il y a un truc en plus : l'écriture. A commencer par la fameuse première phrase, empreinte de mélancolie.

Sur ce sentiment inconnu dont l’ennui, la douceur m’obsèdent, j’hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse.

Plutôt que de travailler cette matière, de tenter de la traduire à l'écran (ce qu'il réussit avec la partie noir et blanc), Preminger nous livre un récit en forme de vaudeville. Raymond, dandy oisif, délaisse sa toute nouvelle maîtresse Elsa pour une vieille amie, Anne, qu'il avait invitée il y a longtemps. Jusqu'à lui proposer le mariage (un peu rapidement d'ailleurs pour un tel Don Juan). Voilà Elsa sortie du jeu. Elle se console en gagnant au casino, de l'argent et un nouvel amant. Pendant ce temps, la jeune Cécile s'est trouvée un bel amoureux, avec lequel elle n'échange à ce stade que des baisers langoureux puisqu'elle n'a que 17 ans. La chose n'est pas du goût de la future belle-mère, qui trouve que la futile Cécile ne se consacre pas assez à ses révisions du bac. Pour préserver l'insouciance oisive de ses 17 ans, Cécile va ourdir un plan qui va mal tourner...

Pour camper le paradis perdu, Preminger nous montre une Cécile qui ne cesse de sauter comme un cabri, alors que la jeune maîtresse de son père se lamente de ses coups de soleil. Le pater familias (David Niven), lui, tombe tout ce qui bouge, en vieux beau très smart dont on ne peut jamais croire qu'il soit français. Tout cela est vite épuisant, d'autant que les comédiens surjouent allègrement - mention spéciale à Mylène Demongeot, insupportable de mimiques affectées. On se traîne péniblement vers l'issue du stratagème, lorsque Raymond dit exactement ce qu'on attend de lui pour pousser Anne au suicide. Affligeant. On déplorera aussi la musique lourdement illustrative et les effets de film projeté en arrière-plan dans les scènes de voiture (un trucage voyant qu'on pardonne à Hitchcock tant il y a à voir chez le maître du suspense). Tout cela a bien mal vieilli, à la différence d'un film comme Le mépris, auquel ce Bonjour tristesse fait un peu penser (présence de Jean Seberg associée à Godard, décor méditerranéen, accident de voiture final).

Le principal atout du film, outre sa courte partie noir et blanc donc, c'est finalement le charmant minois de Jean Seberg - dans les moments où elle n'en fait pas des tonnes. Un peu court pour justifier un film. On oubliera vite cette chose insignifiante pour relire le roman, ou pour revoir les grands films noirs du maître.

5,5

Jduvi
5
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le 29 avr. 2024

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Jduvi

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