Considéré au sein de la filmographie de Kathryn Bigelow, dont l’essentiel des œuvres abordent la fascination qu’exerce la pulsion de mort sur les individus au point de définir leur rapport à la vie, Blue Steel en est peut-être l’incarnation la plus radicale et froide, pure démonstration d’une théorie psychanalytique que la mise en scène, au demeurant magistrale, réussit à convertir en moment de cinéma rugueux et dissonant.


La cinéaste ne recherche à aucun moment l’illusion de vérité mais compose des personnages qui sont autant de types à analyser, disséquer, faire réagir les uns avec les autres : l’espace urbain devient ainsi une vaste caisse de résonance dans laquelle se percutent et se répercutent des personnalités tourmentées et esseulées, souffrant de ce mal de l’urbain perdu dans un dédale de rues et de taxis jaunes. Bigelow capte la ville comme un champ de ruines futuristes ; les nombreux plans en hélicoptère semblent flotter au-dessus de tours plongées dans la nuit, comme endormies, figées dans cette neige rassurante parce qu’elle immobilise tout. La rigueur de la mise en scène n’a d’égal que le sérieux avec lequel Jamie Lee Curtis campe son rôle : tel un automate, elle arbore fièrement son insigne, charge son revolver, contrôle son existence jusqu’à l’accident, soit l’inattendu, une rencontre.


Blue Steel est une machine qui se dérègle, qui perd sa mesure et laisse voir, à terme, des corps perlés de sueur qui se touchent et s’enlacent avant le coup de feu. Éros annonce Thanatos, tous deux marchent ensemble et tendent à se confondre. On pourra reprocher à la cinéaste la lourdeur de son approche, ainsi que la légère confusion qui résulte d’un agencement saccadé des espaces et des lieux – on saute d’un endroit à un autre, du jour à la nuit en l’espace d’une seconde – mais force est de constater l’efficacité de son geste artistique et féministe (il est question des difficultés éprouvées par une femme à trouver sa place dans un corps d’hommes, la police) tout entier tourné vers la lutte de deux pulsions que redouble celle de deux excellents acteurs : Jamie Lee Curtis et Ron Silver.

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le 8 oct. 2020

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