Que ça faisait longtemps que je ne me plongeais plus dans les salles obscures. Au plus, m'étais-je contentée de voir des vieux films sur petit écran avec mon gros son, déçue des sempiternels blockbusters toujours plus remplis de CGI.


Pourtant, j'aime la CGI. Et pour cause, j'en fais. Et généralement, je la vois utilisée à très mauvais escient, avec des animations tarabiscotées, des fourrures au rendu trop irréel, une surabondance de verre cassé. Les millions d'années (littéralement) passées à calculer ces âneries me laissent sans voix. Tout ce travail pour finir avec une caméra épileptique où aucun plan ne dure plus d'une demi-seconde, quel gâchis.


À vrai dire, c'est la lecture de critiques se plaignant de la longueur des plans de ce film qui m'ont donné envie d'aller le voir. Et la longueur est bien. Les plans ne sont ni interminables, ni trop rapides: c'est le temps de voir tout ce décor désolé, d'y faire ses adieux au monde. On s'est plaint, aussi, du fait que Blade Runner 2049 est un film de son époque: lisse, étrange, tout en superficies et pourtant opaque. Les personnages ne sont pas denses, les décors ne sont pas habités, les âmes ont déserté de la face de la Terre.


Il y a quelque chose d'une sinistrose évolutionniste dans ce film, ou une sorte de matérialisme historique pris à l'envers: un constat que la situation ne pouvait faire autre chose que de tourner à la morne, lente, interminable catastrophe. Les armées de réplicants se terrent dans des usines désaffectées, mais le cœur n'y est plus. Chacun y est un étranger, y compris pour soi-même. Alors que notre héros semble dans l'acceptation de cet état de fait, Harrison apparaît ici comme une figure qui n'espérait plus attendre son heure, et qui rejette en bloc l'avancement du monde, complètement largué. Un papy complètement largué, aussi largué que les jeunes gens mais pour les raisons inverses.


Blade Runner 2049 dépeint un monde où l'on croit sans croire, sans espérance. Dystopie complète, achevée, portée par une bande originale qui n'est pas de la musique, mais une sorte de son gémissant sorti de la grime, lancinant, répétitif, ébauchant à l'occasion l'une ou l'autre harmonique. Contrairement à bien des spectateurs, je trouve l'absence de musique au sens strict une bonne chose. Cela met bien en évidence, à mon sens, que l'humanité montrée dans le film, comme celle de notre civilisation contemporaine, se complaît dans son propre souvenir, écoutant encore ses tubes des années 1960, presque cent ans plus tard, sans y avoir rien ajouté. Un monde dont les rêves tournent à vide, sans même être vraiment dérangé par sa propre vacuité. Ryan Gosling en officier K., tout benêt qu'il est, a au moins conscience d'une seule chose: cette situation le dépasse. Il aurait aimé être autre chose que ce qu'il n'est, mais la dimension politique qu'aurait pu ouvrir son désir ne l'intéresse pas.


Quelques passages assez déchirants en début de film aussi, avec sa petite amie intelligence artificielle, toute parfaite, au point qu'on en oublierait qu'il s'agit d'un ordinateur. À chaque instant, on ignore si cette personne est remplie d'assez de capacité de calcul pour aimer, ou si c'est une illusion trop bien faite, ou si ce n'est finalement pas la même chose. Le blade runner K. admet son irréalité aussi bien que celle de sa petite amie; ça n'a finalement pas beaucoup d'importance, comme rien n'a finalement peu d'importance. On ne plonge pas dans la psychologie des personnages, on ne plonge pas dans les pourquoi de l'histoire, ni même dans les comment; on nous promène, comme des touristes, dans un monde duquel nous avions cru pouvoir nous enfuir.

Lassie
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le 9 nov. 2017

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Lassie

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