Un jour, un épaulard arraché à sa mère à son plus jeune âge n'a pas envie de faire ce qu'un dresseur lui ordonne. Par dépit, frustration, colère voire même folie il tue froidement en plein spectacle une de ses dresseuses et s'amuse avec son corps pendant plus d'une demie-heure. Il n'en n'est pas à son coup d'essai, c'est la troisième fois qu'il tue. Au grand dam de Spielberg cet accident a eu lieu en 2010 et la première victime de l'orque Tilikum s'est faite tuer en 1991. L'animal n'étant pas encore né pour le casting des Dents de la Mer le rôle a malheureusement échoué à une maquette de requin. Quoi qu'il en soit quelques années plus tard sa chance était définitivement passée avec la sortie sur grand écran du film Orca.



Épaulard ou la manière



Plus sérieusement ce type de drame pose de nombreuses question sur la vie en captivité de ces mammifères marin, réputés pour être particulièrement intelligents. D'ailleurs des études ont montré qu'au niveau cognitif le cerveau de l'orque est assez proche de celui des humains, mais quoi qu'il en soit leurs remarquables facultés sont un fait largement établi. Pour se rendre compte de ce que les épaulards subissent il faut imaginer être enfermé pendant des années dans une cellule minuscule et devoir quotidiennement faire des singeries devant une foule hilare pour avoir l'opportunité d'être correctement nourri. Presque n'importe qui pèterait les plombs en quelques jours, voire semaines. Les plus coriaces pourraient quand même tenir un an ou plus mais ce serait vraiment exceptionnel. Ce qui impressionne c'est que ces animaux tiennent presque tous de longues années dans ces conditions déplorables à l'intérieur de leurs bassins ridicules. Cet exploit force l'admiration : un telle patience est sidérante. Néanmoins il arrive qu'ils en aient assez et rappellent au monde que ce ne sont pas des peluches ou de gros dauphins bichromes tout mignons mais de redoutables chasseurs, des tueurs certes réduits en esclavage, mais avec toujours leurs fantastiques aptitudes qui en font de super prédateurs dans leur milieu d'origine. Ajoutons aussi que l'orque, comme l'homme, est par essence un animal social. Sauf que les épaulards vivent dans de petits groupes à structure matriarcale, chacune développant sa propre façon de communiquer. Ces communications sont structurées et peuvent aisément être qualifiées de langage. Les groupes sont construits sur plusieurs niveaux : un groupe maternel, un pod qui regroupe plusieurs familles et des communautés regroupant plusieurs pods. On imagine par conséquent l'absurdité des prétendues groupes sociaux des parcs aquatiques.


Si il y a un détail plutôt cocasse c'est la similitude comportementale observable entre des orques en captivité et des êtres humains soumis à un régime carcéral : l'omniprésence de la violence pour ceux qui sont enfermés. Si dans le cas des prisons certaines personnes sont violentes bien avant d'y rentrer on remarque que ce n'est en aucun cas comparable à la situation pénitentiaire où les violences entre les détenus sont nombreuses. Le problème n'y est pas seulement la forte concentration d'individus violents mais les tensions qui résultent de la difficile cohabitation de personnes d'origines diverses. Dans les parcs aquatiques les pseudos familles d'orques qui ne sont en fait que de simples éléments marketing sont composées d'individus de provenance différente avec de fortes disparités au niveau social. Et bizarrement le combo des origines différentes, des individus n'ayant rien en commun au niveau culturel et de l'enferment aboutit à une forme importante de violence physique. Si ces incidents sont souvent étouffés et camouflés par des établissement souhaitant conserver une bonne image les orques se blessent régulièrement entre-elles, à un niveau bien supérieur à ce que l'on observe dans les groupes sauvages, et parfois même jusqu'à la mort de leur congénère. Si l'absence de matriarche pour gérer le groupe a certainement un rôle à jouer toute cette violence ne peut être expliqué par cela. L'analogie à un milieu typiquement humain qu'est le milieu carcéral est présente uniquement parce-que les orques vivent à la base dans des structures sociales et je serai heureux de débattre sur la pertinence de la comparaison. D'ailleurs ce serait intéressant de voir si ce phénomène se retrouve chez d'autres espèces sociales que les orques. Je pense aussi à éliminer toutes les espèces jouant principalement sur des relations de domination principalement physiques où l'équilibre d'un groupe est plus facile à trouver et vivant dans des conditions décentes, même en captivité.



Épaulard ou cochon



Sans rentrer dans les délires bobo-écologiques il suffit de faire preuve d'un minimum de discernement pour comprendre qu'il s'agit d'une idiotie totale. Arracher des animaux aussi intelligents et puissants à leurs parents pour les enfermer dans des baignoires et leur apprendre des tours grotesques pour divertir un ramassis désopilant de spectateurs goguenards ne nécessite pas autre chose que de la lucidité pour réaliser que ce n'est rien d'autre qu'une ignominie totale. Le signe le plus visible de cette déchéance est l’affaissement quasi-systématique de la nageoire dorsale des épaulards à cause du manque de profondeur des bassins empêchant le bon maintient de l'aileron par la forte densité de l'eau. Outre les orques ce sont les dresseurs inconscients aveuglés par leurs rêves et le baratin de Seaworld ou assimilé qui payent le prix de cette barbarie. Deux sont morts sous les assauts de Tilikum et on ne compte plus les attaques dans l'ensemble des parcs aquatiques. Quel que soit le parc il y a des attaques : ce ne sont pas des incidents isolés comme aimeraient le faire croire les parcs aquatiques. Il y a des moments où il est temps de se poser des questions, à moins d'être incroyablement cynique et avide. Sinon même si certains pensent que relâcher les orques n'est pas une solution à cause des traumatismes subis ils devraient se dire que quelques jours passés en mer valent mieux que toutes ces années parqués dans des bassins. L'exemple de Keiko est significatif : il est certes mort mais il a vécu dans l'océan pendant plus d'un an. Il y est décédé de pneumonie à 27 ans comme une rockstar, l'alcoolisme en moins. Sachant que les orques vivent rarement plus d'une trentaine d'années en captivité et qu'il a sûrement été affaibli par les nombreuses années passées dans les parcs aquatique. Les causes sont probablement l'environnement aquatique inadapté tant en qualité de l'eau qu'en volume des bassins que les mauvais traitements subis. Marineland, Seaworld et compagnie persistent cependant à voir cette réintroduction comme un échec mais à mon avis un an vécu dans la mer vaut mieux que dix années dans leurs bassins minables.


Formellement c'est par contre typique des documentaires d'outre Atlantique avec l'utilisation pléthorique d'experts et de témoins que cela implique. Malheureusement avec les insertions comme celle d'anciens employés des parcs d’attraction Seaworld ou Loro Parque ayant connu les victimes voire même celles de proches c'est l'objectivité du documentaire qui en prend un sacré coup en tirant vers l'excès de pathos et de sentimentalisme. L'ancienne petite amie du dresseur tué à Loro Parque en est le meilleur exemple, n'oubliant pas de verser sa petite larme au passage, sans oublier les anciens dresseurs de Seaworld connaissant Dawn Brancheau et ceux de Sealand connaissant Keltie Byrne. Même des spectateurs témoins des massacres sont interrogés. Après les parcs aquatiques ayant bien évidemment refusé de s'exprimer dans le documentaire, c'est majoritairement les versions extérieures à ces établissement qui ont été entendues mais ça n'excuse pas tout et certainement pas le sensationnalisme racoleur dont Blackfish fait preuve. Néanmoins l'introduction de séquences publicitaires de Seaworld est une bonne idée à mon sens, la chaîne refusant de s'expliquer dans le documentaire ayant bien entendu une version qu'elle expose notamment dans sa stratégie commerciale. Ce détournement de leur publicité est quelquefois un peu artificiel mais c'est quand même plutôt malin. Je n'ai rien contre l'engagement ni contre le fait de décrire les choses mais ça n'explique en rien la nécessité de rendre ça pathétique jusqu'à l'indécence. Sur certaines personnes ça peut marcher mais à moi ça m'en touche une sans faire bouger l'autre.


Dénonçant une chose assez logique et montrant la facette sombre de l'exhibition des majestueux mammifères marins que sont les orques ce documentaire n'apprend malheureusement pas grand chose à l'exception de l'affreuse méthode de capture des épaulards et de quelques menus détails. C'est simplement une affaire de bon sens que de comprendre que parquer un tel animal dans des bassins est d'une cruauté sans nom. Pourtant de nombreuses personnes continuent de fréquenter ces parcs. Je précise quand même qu'à la base je suis loin, très loin d'être un fervent défenseur de la cause animale mais qu'au bout d'un moment la connerie humaine commence à m’excéder sévèrement. De toute façon faire vivre des orques en bassin c'est un peu comme vouloir faire pousser un séquoia dans un pot de fleur, c'est complètement con.

Brad-Pitre

Écrit par

Critique lue 786 fois

8
4

D'autres avis sur Blackfish

Blackfish
Krokodebil
8

Flying Whales

Off to Marine-neverland. Quand j'étais petit, j'adorais beaucoup de choses concernant les animaux, de toutes tailles, de tous horizons, de toutes époques. J'ai appris à lire avec des livres imagés...

le 2 juin 2014

50 j'aime

16

Blackfish
Corrado
4

je préfèr les animo aux humin <3

Je me souviens avoir entendu parler de ce film comme un film choc, un film qu'il fallait absolument voir. Une superbe moyenne sur Senscritique, même chez mes éclaireurs. Et pourtant ce documentaire...

le 24 juil. 2016

18 j'aime

3

Blackfish
Shrapnel
7

"Ne deviendriez vous pas fous si vous passiez votre vie dans une baignoire?"

Blackfish est un documentaire réalisé par -attention, c'est précisé partout (et on peut se demander pourquoi les "activistes" ont si mauvaise presse)- une simple mère de famille qui a maintes fois...

le 8 déc. 2013

18 j'aime

1

Du même critique

Le Projet Blair Witch
Brad-Pitre
2

L'Esprit Feint

Cette critique est une version bêta (très bêta même) spécialement destinée à recevoir un dislike de Louisette. Merci de votre compréhension. Je me suis d'ailleurs retenu de tout écrire en capitales,...

le 6 oct. 2014

21 j'aime

12

Œdipe roi
Brad-Pitre
7

Tunique, ta mère !

Je n'étonnerais personne en affirmant que Pasolini fait partie de ces cinéastes qui s'ils ne sont pas unanimement reconnus ont marqué le cinéma par leur radicalité et leur conception originale du...

le 27 sept. 2014

19 j'aime

3