N'ayant jamais vu de films de Spike Lee auparavant, j'étais néanmoins au courant de la réputation sulfureuse et controversée du "angry black man" au moment de rentrer dans la salle de cinéma. Même si je ne m'attendais pas à voir un film qui fasse dans la dentelle au niveau de la subtilité de son message politique, la promesse intrigante de voir comment un Noir avait réussi à infiltrer le Ku Klux Klan ainsi que la présence d'Adam Driver au casting (que je voulais voir dans un autre rôle que celui de Kylo Ren au cinéma) ont réussi à me convaincre de réserver ma place pour l'avant-première du long-métrage. Finalement, BlacKkKlansman correspond à l'image que je m'en étais faite avant d'aller le voir, à savoir une production bluffante qui aurait pu être encore meilleure si elle ne martelait pas son message de manière aussi insistante. On ne peut s'empêcher de se dire, tout au long du film, que ce à quoi on assiste est un roller coaster incohérent tout droit sorti de l'imagination délirante des scénaristes hollywoodiens les plus extravagants... et pourtant, ce que l'on pourrait à première vue considérer être des "plot holes" (pourquoi Ron continue-t-il d'appeler au téléphone alors que Flip pourrait le faire, ce qui diminuerait considérablement leurs chances de se faire démasquer? Comment Félix a-t-il pu ne pas reconnaître Ron lors de CETTE SCENE?) n'en sont en réalité pas, car le scénario du film est très fidèle à ce que le véritable Ron Stallworth raconte dans son autobiographie "Black Klansman", sortie en 2014. L'une des différences majeures entre le film et ce qu'il s'est réellement passé à Colorado Springs à la fin des années 1970 concerne la religion de l'homme qui s'est fait passer pour Ron Stallworth auprès du KKK : alors qu'il était protestant dans la "vraie vie", Spike Lee a décidé de faire de ce personnage un Juif, pour des raisons dramatiques et politiques assez évidentes après le visionnage du film (et possiblement aussi pour tenter de gommer la réputation d'antisémite qui lui colle à la peau depuis maintenant plusieurs films).


Très fidèle à la réalité historique, BlacKkKlansman nous montre donc l'Amérique WASP dans ce qu'elle a de pire, à savoir une bande d'ignobles beaufs réacs capables des pires atrocités envers tous ceux qui sont différents d'eux d'une manière ou d'une autre. Si le Klan est de nos jours officiellement défunt, le film de Spike Lee s'efforce, tout au long de ses deux premières heures, de faire des clins d'oeil assez subtiles et réussis à l'Amérique contemporaine, où la casquette "Make America Great Again" peut être vue comme la digne héritière de la capuche du Ku Klux Klan. Il commet néanmoins ce qui est à mes yeux un impair, à savoir cette séquence de trois minutes qui clôt le film en effectuant un retour sur les rassemblements extrémistes qui ont eu lieu à Charlottesville en 2017. S'il est pertinent de montrer que les suprémacistes tarés qui ont persécuté les Afro-Américains pendant des décennies ne constituent pas du tout une espèce en voie d'extinction, je trouve qu'il aurait été préférable de s'en tenir aux références à l'Amérique de Trump qui ponctuent le récit, afin d'éviter que le film s'achève sur une note politico-morale trop lourde.


Ces trois dernières minutes n'enlèvent néanmoins rien aux 125 qui les précèdent, où l'on voit un casting de haute volée échanger des répliques qui font très souvent mouche, notamment grâce à la juste incorporation de l'humour dans un film dont le sujet initial ne prête pourtant guère à rire. Mentions spéciales à Adam Driver, qui montre que sa palette artistique peut l'éloigner sensiblement des rôles de personnages sombres et tourmentés auxquels il a souvent eu droit auparavant, et à Topher Grace, impressionnant dans ce rôle de David Duke qui le voit jouer une espèce de Ned Flanders cachant à la perfection les démons haineux qui le rongent de l'intérieur (est-ce bien le même acteur qui a joué Eddie Brock dans Spiderman 3?). S'il n'est donc pas parfait, BlackKklansman évite l'écueil dans lequel sont tombés certains films engagés dans la défense de la cause noire, comme le Selma de Ava DuVernay, en proposant un ensemble certes historiquement intéressant et enrichissant, mais qui ne laisse pas de côté le dynamisme et les touches d'humours nécessaires pour faire d'un biopic un très bon film.

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le 22 août 2018

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Ewenn C.

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