J'avais vu le trailer et le film m'avait fait l'effet d'une parodie de film de superhéros, loufoque, décalée. Grosse surprise, notamment au niveau du rythme et du style.
Car ce film est un portraît, le portraît d'une star qui cherche à se réinventer hors du système hollywoodien, et qui souffre presque physiquement du regard du public. Allez, synopsis !
--------------------------------------------------------
Riggan Thomson est un double fictif de Michael Keaton. Il a flingué sa carrière en refusant de faire un "Birdman 4". Il engage son argent pour monter à Broadway l'adaptation d'une nouvelle de Raymond Carver. Il prend le premier rôle et confie le rôle masculin de l'amant de sa femme à Mike Shiner, brillant acteur new-yorkais et vrai connard à la ville. Il gronde sa fille, qui fait la petite main et sort d'une cure de désintox. Elle finit par sortir avec Shiner. Il garde d'excellentes relations avec sa femme, mais a une anxiété énorme à mesure que les avant-premières mouvementées s'enchaînent. Mais surtout, Riggan a une voix qui lui parle, la voix de Birdman, sa mauvaise conscience qui lui dit que ce serait tellement plus facile de faire des millions et, qui sait, de faucher la vedette à Clooney. Et il semble avoir des pouvoirs télékinétiques, mais tout le film tourne autour de la question : ces pouvoirs sont-ils des fantasmes, auquel cas Riggan est bien cabossé, ou les possède-t-il vraiment ? Le dénouement est tragique : Riggan, lors de la première, se tire une balle dans le nez lors de sa scène de suicide et finit à l'hopital. Il voit des oiseaux, enjambe le rebord de la fenêtre. Sa fille arrive, regarde par la fenêtre en bas, horrifiée. On entend une sirène. Puis elle lève les yeux et sourit.
------------------------------------------------------------------------
Le film repose sur un certain nombre d'oppositions : New York/L.A., sincérité/superficialité, talent/célébrité, succès/obscurité, réel/fantasme.
L'action est principalement, mais pas exclusivement focalisée sur Riggan, par conséquent il est impossible de penser tout le film comme un fantasme se passant dans sa tête. Cela dit, Inarritu use (et abuse un peu, à mon sens), de la caméra à l'épaule, qui suit les personnages dans les méandres des coulisses du théâtre, et adopte souvent des trajectoires impossibles, violant à plusieurs reprises la règle des 180°, passant à travers le grillage d'une fenêtre, etc... J'avoue avoir été admiratif du minutage, mais pas séduit plus que ça par cette prouesse technique indéniable.
En fait en regardant wikipedia, je vois que le film revendique d'être un faux plan-séquence unique, comme "L'arche russe". J'ai revérifié et en effet, là où je pensais qu'il y avait une coupe, la caméra monte vers un élément de décor urbain, le temps s'accélère, puis elle redescend. Franchement, en dehors du défi technique, c'est beaucoup d'effort pour pas grand-chose.
En revanche, le film a un rythme très haché, qui capture bien la fièvre de coulisses quelques jours avant une première. Les personnages tournent autour de Riggan, sont remplacés par d'autres, entrouvrent une porte, parlent, partent en la claquant, etc... Les couloirs que la caméra traverse sont comme les neurones torturés de Riggan, et plus on avance dans le film, plus l'atmosphère onirique gagne en emprise, se fait dérangeante... Jusqu'au dénouement, qui revient à un réalisme froid de chambre d'hopital. A ce sujet, il est évident que le fait que la télékinésie n'intervient que dans les moments où la frustration de Riggan est à son comble n'est pas anodin.
Le personnage joué par Edward Norton illumine toute la première partie d'une aura de comédie à la Woody Allen, avec son côté égoïste, amoral et très pro (enfin ça se discute). Surtout, la bande sonore doit être assez fatigante à écouter, car ses dialogues en stichomythie (yeah, j'ai placé ce mot) se doublent d'une B.O. de free jazz qui repose beaucoup sur de la batterie syncopée, voir destructurée, qui renforce l'impression d'une tension perpétuelle que l'on n'arrive pas à évacuer. La deuxième partie du film est de plus en plus centrée sur Riggan, sa frustration, son sentiment d'échec. Et du coup c'est moins rigolo.
Il y a des répliques qui claquent : "On dirait un dindon qui a une leucémie". "Et la prochaine fois que tu pousseras ton cri (cri asthmatique de Keaton), il déchirera des millions de tympans".
Il y a des allusions au fantôme de l'opéra : les néons de la boîte Phantom en face du théâtre, le costume d'oiseau qui fait penser à "Phantom of the Paradise"...
Vous allez me dire, je n'ai pas beaucoup parlé de la partie "critique des superhéros". Que dire ? Elle arrive plutôt sur le tard, mais la séquence d'action-foutage de gueule fait bien rire. Mais surtout, surtout, il y a ce moment magique où Riggan s'imagine voler au-dessus de Time Square, et Dieu que c'est raffraichissant de voir des superpouvoirs montrés non pas en mode épique-boum-boum, mais avec finesse et poésie, quelques violons discrets et sensibles. En plus les effets spéciaux y sont un peu mal faits, comme exprès. Belle séquence.
Il y a aussi beaucoup de clins d'oeil et de vannes sur Hollywood. La scène de baston avec Shiner fait immédiatement penser à "Fight club", et il y a pas mal de name-dropping. La fin, où Riggan se retrouve avec un nez qui personnellement me rappelle celui de Daniel Craig, semble une critique de la chirurgie esthétique.
Un film surprenant, dans le bon sens. On en veut plus. Merci.