Mention : Comédie grinçante

Birdman est une marche effrénée, guidée par un Michael Keaton habité. Son parcours initiatique traverse une multitude de sujets profonds, sans s'éparpiller ou se perdre. C'est la quête d'un rebond sur les planches pour fuir les facilités d'Hollywood, ou inversement. Le rôle de Riggan Thomson, acteur déchu, a clairement été composé sur la propre résonance du parcours de Michael Keaton. La partition est réécrite pour s'accorder des notes de fantaisie. Iñarritu fait un focus sur le vaste sujet de la condition d'artiste (et autres questionnements de notre société actuelle), sans que ce soit flou ou enfermé dans un certain cadre. L'angle de lecture s'ouvre facilement à notre propre perception des choses. Faisons donc une mise au point sur la vision personnelle que l'on a de Birdman.

La mise en scène tourne toujours à plein régime. Un quasi plan-séquence de deux heures, comme une ballade hallucinée. Ce rythme fou est aussi haletant que Whiplash. Birdman prend la même mesure de tempo pour parcourir une vie d'artiste, loin d'être un long fleuve tranquille. Le huit-clos et la vigueur créent une ambiance démente. Le montage donne une parfaite impression de continuité au récit, ce qui le rend très théâtral. Cette mise en scène au rythme fou transmet aussi la pression qui pèse sur le personnage de Michael Keaton et autour de son projet. Enfin c'est surtout captivant et très beau visuellement. L'habituelle photographie onirique et déphasée propre à Iñarritu.

Le réalisateur utilise parfaitement son décors New-yorkais. C'est carrément embarquant comme voyage, mais pas seulement. Broadway se pose en anti-Hollywood, ce qui illumine tous les sarcasmes à l'encontre de l'industrie du cinéma. Il y a le parcours de Riggan-Michael Thomson-Keaton qui est déjà très éloquent, et puis un enchainement de tacles contre l'actuel monopole de Marvel, DC et cie. Une charge contre un Hollywood répétitif, et c'est très drôle. Cette visite des coulisses du théâtre New-Yorkais approche le grandiose Opening Night de Cassavetes, Gena Rowlands aussi était dans une violente introspection.

Pour autant Broadway est loin de figurer comme un paradis sur terre. Riggan Thomson est comme un oiseau en cage dans ce théâtre. Enfermé dans son dilemme interne et par l'enjeu fou de son projet. Son engagement est total. Il est à l'adaptation, la mise en scène et l'interprétation de la pièce qui doit faire renaitre le phénix de ses cendres. Le chemin vers un nouvel envol n'est pas sans embûche. Car avant de planer il faut soigner une carrière qui bat de l'aile depuis très longtemps. Il faut gagner le respect de son entourage, la considération du public et défaire les jugements préconçues des critiques.

Le rôle d'introspection de Michael Keaton est le point de départ autour duquel gravite une pléïade de pensées. Les acteurs au second plan offrent à Michael Keaton un répondant d'une résonance profonde.

Michael Keaton est devenu aussi désuet que Riggan Thomson, leurs légendes sont pareillement construites sous l'aile d'un héros mythique. Il n'en faut pas plus pour créer une mise en abyme saisissante. On ressent avec Riggan Thomson sa volonté féroce de se relancer dans le métiers. Sa pièce est en train de se jouer tout au long du film, et les difficultés de sa mise en place transmettent une certaine tension, du fait de ses enjeux. Michael Keaton nous fait traverser une aventure humaine riche en émotions. Son Riggan Thomson est à la fois déterminé et paumé. Birdman est sa voix (grave comme celle de Batman) de l'inconscient qui créé une dualité intèrieur. Celle de la tentation de revenir à la facilité Hollywoodienne, contre la persévérance risquée. Performance géniale de Michael Keaton qui mène ce parcours initiatique avec virtuosité.

Emma Stone trouve enfin un rôle à la mesure de son immense talent. On saisit tout de suite le poids du passé qui pèse sur les épaules de Sam. La fille de Riggan Thomson a clairement été délaissée. La relation avec son père est significative du mariage difficile entre vie de famille et carrière d'artiste. La maman de Sam ne ménage pas non plus la maisonnée. Ce trio forme une famille au sens le plus littéral du terme et souffle des relations plutôt authentiques. Ça paraît assez simple pour le couple séparé. Sylvia est toujours présente auprès de sa fille et Riggan Thomson, sans rancœur ni attentes à son égard. Plus d'amertume chez Sam en revanche. L'absence de son père se ressent. Livrée à elle même, la jeune femme a bien-sûr testée ses limites. Avide d'adrénaline et sujette à l'addiction, elle semble paradoxalement la plus lucide dans ce théâtre. Emma Stone est chavirante, toujours juste et naturelle, elle fait forte impression quand elle exp(l)ose ses failles à son père. Les yeux vifs et les vœux de vie, Emma Stone incarne Sam avec une générosité absolue.

Eward Norton aussi figure un rôle très riche. Il n'y a que la relation qui se construit entre Mike Shiner et Sam qui ne semble pas indispensable. En revanche l'échange qu'il mène avec Riggan Thomson est passionnant. Chacun illustre son point de vue du métiers d'acteur avec panache. Mike Shiner débarque plein d'assurance et à l'évidence, pétri de talent. Son enrôlement est tout de suite dingue. Au départ cette folie est presque pertinente mais surtout drôlatique, puis elle devient déconcertante. Il est adepte immodéré de La Méthode Stanislavski. Au contraire de Riggan Thomson qui est un magnifique plaideur de l'art figuratif du métiers de comédien. Le duel manque quelque peu d'objectivité. Le rôle de Michael Keaton vole toujours au dessus des débats, vainqueur par KO.

Andrea Riseborough (Laura, comédienne et compagne du metteur en scène), est captivante sur le très peu qu'elle nous donne à voir. Laura est en plein tourment de l'absence et l'éloignement de Riggan Thomson. Contrairement à son ex-femme (Amy Ryan), plus résignée. Zach Galifianakis aussi est (trop) peu présent à l'écran, mais chacune de ses apparitions fait mouche. Naomi Watts retrouve son lumineux regard, lui qui s'était éteint ces derniers temps.

Birdman est une mise en abyme survoltée sur l'art de la passion (et inversement). Une ballade intérieure brillamment menée, où la mise en scène et le casting éclairent le fond profond du récit.

Note : 17 / 20
adamkesher01
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le 3 mars 2015

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Adam Kesher

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