BERGMAN ISLAND (Mia Hansen-Løve, SUE/ALL/BEL/FRA, 2021, 112min) :


Superbe chronique élégante qui questionne sur le couple et la création au cœur de l'île de Fårö, là où l'esprit du légendaire cinéaste Ingmar Bergman à façonner parmi ses plus touchants personnages cinématographiques, à travers le miroir des âmes.


« Aucun art ne traverse, comme le cinéma, directement notre conscience diurne pour toucher à nos sentiments, au fond de la chambre crépusculaire de notre âme » confesse Ingmar Bergman.
Pour son septième long métrage, l'art de la cinéaste puise assurément dans cette brillante formule, pour interroger la notion de couple par le biais de Tony et Chris deux réalisateurs vivant ensemble, et l'influence que l'art créatif engendre sur leur relation et sur l'évolution de leurs inspirations. Pour mieux sculpter de manière introspective ses interrogations la caméra de Mia Hansen-Løve décide de se poser au milieu la mer Baltique sur la petite île suédoise de Fårö. Lieu mythique pour les cinéphiles, depuis que le maître sacré Ingmar Bergman a jeté son dévolu afin d'y vivre le restant de ses jours, subjugué par la particulière beauté des lieux, lors de repérages de décors pour son intense À travers le miroir (1961).


Des premières turbulences annonciatrices de l'avion, où Chris effrayée par les perturbations nuageuses s'appuie littéralement sur son homme pour se rassurer, en passant par la piste d'aterrissage scénaristique faussement balisée, la caméra va suivre avec délicatesse le voyage intérieur de la jeune femme cadette de Tony (sobre et impeccable Tim Roth), son amant et mentor de cinéma. Le couple sans leur fille June laissé à la maison, débarque pour ces jeux d'été créatifs, enchanté par la beauté des paysages, puis intimidé au moment de rentrer dans la chambre de l'hôtel du tournage de Scènes de la vie conjugale (1973) « le film qui a fait divorcer des millions de personnes. », œuvre majeure du cinéaste suédois. Ce couple d'artistes paraît bien fonctionner avec la force tranquille de l'homme rassurant, et lié par une amitié amoureuse où le désir sexuel semble avoir été détrôné au fil des années, par la complicité alimentée de gestes attentionnés. Avant qu'une jalousie artistique sous-jacente vienne inconsciemment s'immiscer dans leur quotidien, et gripper insidieusement les rouages de leur relation, basée sur les chuchotements plutôt que les cris.


Une île refuge d'inspirations, où l'omiprésence fantomatique de Ingmar Bergman s'invite partout, aussi bien dans de nombreuses conversations, dans des établissements devenus institutionnels (cinéma où l'on diffuse ses œuvres, musée, maison personnelle à Lauter), au cœur du merchandising (Bergman Safari, vente de la paire de lunette portée par Bibi Anderson dans Persona (1966) etc...), et se convoque auprès des lieux de décors de ses films. Une essence artistique encore vive, mais qui ne brûle jamais l'affranchissement de Mia Hansen-Løve vis à vis de l'influence autobiographique fondatrice de son maître de cinéma suédois. Au contraire l'auteure se sert de la noirceur bergmanienne pour aller vers la lumière, une émancipation qui se retrouve dans le personnage féminin de Chris (fragile et touchante Vicky Krieps).


Cette mise en abyme du récit en deux parties, avec l'apparition d'un film dans le film (magnifiquement interprété par la craquante Mia Wasikowska et le charismatique Anders Danielsen Lie, protagonistes d'une histoire d'amour impossible), fait se confondre la vie réelle avec la fiction. Un envoûtant mélange qui illustre aussi brillamment le processus solitaire d'écriture d'un scénario de film, et les chemins de traverses intérieurs empruntés par son auteure qui puise en elle ses fantasmes et ses aspirations. L'utilisaton des décors escarpés et arides de la petite île de Fårö, embellie par la splendide photographie ensoleillée de Denis Lenoir, amplifie le côté solitaire et mystique des affres de l'inspiration de Chris, amplifié par le choix judicieux du format Scope, qui sert d'écrin pour tisser le portrait de ces deux femmes, l'une réelle et l'autre fictive. Cette insularité mélancolique permet à la cérébrale Chris et à la charnelle Amy son alter ego fictive certaines errances (rencontre avec un séduisant jeune étudiant, étreintes sexuelles, danse sur ABBA...) libératrices et de multiples rêves de femmes.


Loin de la sarabande bergmanienne, sans vacarmes et fureurs, le long métrage de Mia Hansen-Løve tisse une chronique délicate où la subtilité des non-dits fait respirer la narration d'une fluidité admirable. Ainsi l'astre solaire au-dessus de Fårö, où les « raukar » véritables sculptures de calcaires taillées par la mer regardent l'horizon, enveloppe de douceur une leçon d'amour au cinéma, ainsi que la place qu'il occupe en chacun de nous, et permet de transcender irréversiblement l'envol de Chris, car il pleut sur notre amour...

seb2046
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le 16 juil. 2021

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